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Mardi de la 9ème Semaine du Temps Ordinaire (Mc 12, 13-17)

4 juin 2024.

Dans l’épisode précédent, Marc avait mis en image l’autorité du fils bien-aimé, face au pouvoir malveillant des vignerons dans lesquels se reconnurent les grands prêtres, anciens et scribes. Mais à cause de la foule, ils ne purent se saisir de lui (12,12). Désormais, il ne leur reste qu’à confondre Jésus par un autre moyen : le mettre en cause publiquement et retourner cette foule contre lui.

Trois groupes religieux vont se succéder pour tenter de piéger Jésus : des pharisiens accompagnés de partisans d’Hérode (12,13-17), des sadducéens (12,18-27) puis des scribes (12,28-34). Dès lors, plus personne n’osa l’interroger (12,34). Jésus poursuivra donc son enseignement dans le Temple (12,35-40) avant l’épisode de l’offrande de la veuve (12,41-44). Ce sont donc deux monnaies qui encadrent l’ensemble de cette section : le denier de César et le quart d’as pour le trésor du Temple (12,41-44).

En envoyant auprès de Jésus, des pharisiens et des hérodiens, les membres du sanhédrin font venir sur le devant de la scène ceux qui avaient déjà envisagé un projet funeste contre Jésus (3,6). Puis, après la seconde multiplication des pains, Jésus avait dénoncé ce mauvais levain des pharisiens et d’Hérode (8,15). Marc rassemble donc ici, au sein du Temple, tous les comploteurs : grands prêtres, anciens, scribes, pharisiens et hérodiens. Toutes ces instances du pouvoir et du savoir ne pourront pourtant mettre la main sur Jésus, ni savoir d’où il tient son autorité. À moins de le piéger par ses propres paroles et aux oreilles de tous.

La question des pharisiens et hérodiens est précédée d’un long compliment dont nous devinons déjà la fausseté. Cette flagornerie vise à valoriser la soi-disant autorité savante et sagesse de Jésus, qualités reconnues plus probablement par la foule que par ces flatteurs.

La question des pharisiens et hérodiens concerne l’impôt dû à César, symbole de l’oppression et du pouvoir romain. Il ne s’agit pas de la redevance d’un impôt destiné au bien commun – dirions-nous aujourd’hui – mais de savoir s’il faut accepter ou non l’autorité impériale et romaine. Et dans cette Judée soumise à Rome, tout mâle ayant l’âge requis doit payer tribut à l’empire auprès des publicains. La question est tout autant politique que religieuse. Cette taxe sert en effet à financer la Rome païenne, ses armées, son empereur et ses cultes idolâtres. En autorisant l’impôt au royaume de César, Jésus – le fils bien-aimé qui annonce avec succès l’avènement du règne de Dieu, son père – risque de se contredire et de se mettre à dos la foule du Temple. À leurs yeux il passerait pour un traître à la Judée. Mais, en interdisant de payer l’impôt, Jésus – fils de David – revêtirait alors cette figure royale politique qui ferait de lui un opposant direct à la puissance romaine et pourrait être dénoncé de facto.

Mais la question est plus insidieuse. Car, il ne s’agit pas seulement d’une d’opinion personnelle à clarifier. D’une part, l’interrogation porte sur l’interprétation que Jésus va faire de la Loi et de ses préceptes : Est-il permis, autrement dit selon la Loi de Moïse, de verser l’impôt à César ? De ce fait, Jésus est sommé, au sein même du Temple, de faire appel à l’autorité divine de la Loi. La volonté de Dieu est convoquée. D’autre part, il y a cette seconde question : Devons-nous payer, ou non ? Celle-ci implique un nous qui donnera à la réponse de Jésus un caractère d’appel public, au nom de la Loi de Dieu, à la soumission ou à la révolte : Dieu vous demande de (ne) payer (pas) l’impôt ! Le sujet est donc difficile et délicat et, in fine, Jésus n’a de choix qu’entre un oui et un non !

Jésus n’est pas dupe. Leur hypocrisie et leur tentation de le perdre sont démasquées. Il ne répond pas à leur question en invoquant la Torah. Il en appelle au denier romain. Le paiement de l’impôt à l’occupant ne trouve pas sa réponse dans les livres de la Loi, mais dans la Parole du Christ. Le Fils est le serviteur ultime de la Parole de Dieu et son interprète.

Ainsi Jésus oblige ses adversaires au discernement et au jugement à partir d’une pièce de monnaie romaine qu’il ne possède pas, mais qu’on est capable de trouver au cœur du Temple saint, ironie de la situation. Jésus fait préciser à ses contradicteurs l’origine impériale de cette pièce où y figurent le profil de l’empereur et son inscription païenne. Il renvoie ces juifs pieux à leur propre hypocrisie, et à leur contradiction. En effet, la pièce romaine, qu’elle soit du temps de Tibère – ou de Néron à l’époque des lecteurs de Marc – comporte une référence païenne et idolâtre, éléments que la Loi rejette (Ex 20,3-4) et que les juifs pieux voient en horreur dans l’enceinte du Temple. Avec cette contradiction, le récit dénonce la compromission entre le pouvoir religieux (qui a en main le denier) et le pouvoir romain – comme bientôt lors de la Passion. Jésus demeurant celui qui ne possède rien et qui se dépossède de tout pouvoir.

Jésus leur dit : « Ce qui est à César, rendez-le à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Et ils étaient remplis d’étonnement à son sujet.

On associe à cette phrase de Jésus, devenue proverbe, une séparation entre deux sphères distinctes, celle du religieux et celle du politique. Mais ce serait oublier tout le contexte du récit. Car ici, la critique ne porte pas sur une séparation des pouvoirs, mais sur la différence faite dans l’usage des pouvoirs qu’ils soient religieux ou politiques.

Inscrire son nom détermine toujours un lien de propriété. Le denier frappé du nom de l’empereur peut donc revenir à Rome. Jésus donnerait-il caution à l’occupant romain ? Cela n’est pas si sûr. En opérant cette distinction, Jésus affirme que – contrairement à l’inscription du denier – César n’est pas un dieu et Dieu n’est pas César pour gouverner à sa manière.

Rendre à César ce qui est à César correspond au refus de la tentation du pouvoir ou sa compromission, à l’image certes du gouvernement politique romain mais aussi des notables religieux du Temple, à l’image de tout mauvais vigneron de la vigne du Seigneur. Rendre à Dieu, ce Père aimant et persévérant, désigne ce choix d’entrer dans la logique du royaume révélé par son fils bien-aimé, Jésus. La réponse n’est plus dans un oui ou un non à une taxe, mais dans un choix entre un pouvoir selon César et un règne selon Dieu, entre posséder et rendre.

Mais que rendre à Dieu alors que, en tant que Créateur, tout lui appartient ? Que rendre à Dieu quand on aurait tout quitté pour suivre son Fils ? Qu’y a-t-il encore à rendre, à remettre ? Le cadre du Temple pourrait suggérer le culte rendu à Dieu, un rendre grâce pour Celui qui remet, gracieusement, les péchés. Et le Temple a désormais une pierre d’angle visible à son sommet : Jésus. Rendre à Dieu ce qui est à Dieu oriente le lecteur vers le Christ, marchant vers sa Passion, qui offre une vie nouvelle, non contre un paiement ou un tribut, mais dans une remise et un abandon au Père.