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Lundi de la 10ème Semaine du TO (Mt 5, 1-12)

10 juin 2024.

Le discours de Jésus sur la montagne commence par une série de béatitudes appelées plus savamment macarismes (du grec makarios μακάριος/ heureux).

L’évangéliste Matthieu dresse une liste de neuf béatitudes.

L’évangéliste Luc possède également une autre version de ces béatitudes (Lc 6,20-23) quelque peu différente (il n’en cite que quatre). Mais ce n’est pas l’objet de notre propos. Cependant, si vous les comparez, vous vous apercevrez de l’insistance de Luc sur des réalités sociales : heureux les pauvres (et non les pauvres de cœurs), ceux qui ont soif (mais pas seulement de justice) …

Matthieu use d’un vocabulaire plus spirituel, mais non désincarné. La place des béatitudes dans chaque évangile leur attribue aussi une fonction différente. Il s’agit, pour Matthieu, d’asseoir l’autorité de la Parole de Jésus et d’affirmer la bonne nouvelle d’une entrée dans le temps du Règne de Dieu.

Mais à quelle béatitude le discours fait-il référence ? Comme nous le verrons, il ne s’agit pas tant d’un bonheur à venir, que de constater déjà un avènement présent. La béatitude est le don même du Royaume. Le royaume EST à eux : la présence agissante de Dieu est à leur côté sur ce chemin de disciple. 

Le discours des béatitudes ne peut se limiter aux seuls interjections ‘Heureux !’ En réalité, cette introduction au discours sur la montagne intègre aussi les versets 13 à 16  sur le sel de la terre et la lumière du monde. On peut ainsi distinguer trois parties :

1ère partie : Heureux les…

  • 5,3 « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.
    • 4 Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
    • 5 Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
    • 6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
    • 7 Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
    • 8 Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
    • 9 Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
  • 10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.

2ème partie : Heureux vous…

  • 11 Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.
  • 12 Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux !
  • C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

3ème partie : Vous êtes (Cf. La suite du passage évangélique : Mt 5, 13-16)

  • 13 « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens.
  • 14 Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée.15 Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
  • 16 De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux.

Ces trois parties se distinguent notamment par les destinataires : Heureux ceux (v.1-10), heureux vous (v. 11-12) et enfin Vous êtes (v.13-16).

La mention de ce Royaume des cieux encadre les huit premières béatitudes. Celles-ci s’adressent à différentes personnes caractérisées par une disposition intérieure et spirituelle. La neuvième béatitude est plus développée et s’adresse à l’auditoire de Jésus avec la seconde personne du pluriel (vous) et développe le thème des persécutions. Enfin la troisième partie ne commence plus par un macarisme mais directement par la seconde personne du pluriel et toujours au présent, avec les images du sel de la terre et de la lumière des hommes.

Heureux ceux qui…

Les béatitudes ouvrent ainsi le discours de Jésus sur un bien présent, le bonheur que Dieu offre aujourd’hui. Ce présent du discours s’adresse ainsi tout autant aux auditeurs de la narration (les disciples) qu’aux auditeurs de l’évangile aujourd’hui.

L’ensemble du discours est donc marqué par ce bonheur. Ce dernier n’est pas de l’ordre de la satisfaction des désirs mondains, qui viendrait de nos seuls efforts mais un bonheur donné. Le Royaume des cieux est offert par Dieu. L’usage du style passif : ‘ils seront consolés… ils recevront…’ est habituel dans la langage biblique et sémitique pour décrire l’action même de Dieu. Ces huit attitudes désignent l’adéquation entre l’action de l’homme et la volonté de Dieu.

Les pauvres et les doux (5,3-5)

L’humilité et la consolation

Les premiers destinataires : les pauvres de cœur ou littéralement par l’esprit ne sont pas à confondre avec des pauvres d’esprit (ou simples d’esprit). Ces termes renvoient à une expression sémitique (anwei rouah) qui veut souligner l’humilité et l’abaissement contre l’orgueil et la suffisance. Le pauvre de cœur sait qu’il a encore tout à apprendre et à vivre de la Parole de Dieu comme Matthieu le soulignera également plus loin :  en Mt 19, 14 Jésus dit : « Laissez faire ces enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le Royaume des cieux est à ceux qui sont comme eux. »  

La notion d’humilité est répétée avec le mot de ‘doux’ (v.5) qu’on peut traduire effectivement par ‘humble’. Si la notion de pauvreté par l’esprit visait plus l’humilité face à Dieu (le royaume des cieux est à eux), le terme de doux/humble renvoie plus ici à l’humilité vécue dans l’espace social (ils auront la terre en héritage). L’abaissé sera élevé avec le don du royaume et de la terre.  Cette répétition sert le discours et permet de mieux saisir la notion d’affligésceux qui pleurent. Dans ce contexte l’affliction, la grande douleur, ne peut être associé qu’à la persévérance dans la foi au milieu des difficultés. La consolation est celle de Dieu qui vient consoler son peuple dans l’épreuve comme l’exil au temps d’Isaïe

 Is 40,1 Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu

Ils seront rassasiés

Les affamés et assoiffés de justice ouvrent maintenant un champ plus vaste. Ce mot de justice sera répété 5 fois (5,6.10.20 ;6,1.33) dans ce discours sur la montagne sur les 7 emplois de Matthieu (avec 3,15 et 21,32).  Ce terme peut renvoyer à divers domaines dont la justice ‘civile’ des peuples, ou encore avoir une connotation personnelle et domestique ‘le souci personnel de la justice’. Mais dans le contexte matthéen et judéo-chrétien, la justice en question est celle de Dieu.

Certes, la justice de Dieu n’est pas en inadéquation avec une justice sociale ou un souci personnel de justice. Mais l’expression évoque aussi le fait de devenir juste, d’être ajusté à la volonté de Dieu. Cette faim et soif de justice désigne alors cette recherche d’être ajusté à Dieu, à l’écoute de sa Parole. Et désormais, cela leur est donné, en Christ, de manière plus que suffisante, ‘ils seront rassasiés’.

 

Appelés fils de Dieu

Ces affamés, ces humbles et ces doux sont aussi à mettre en parallèle avec les miséricordieux. Ils représentent ceux qui soutiennent le pauvre et accordent le pardon. Ils expriment justement la justice de Dieu qui fait miséricorde aux pécheurs, aux humbles et aux affligés. Il en est de même pour les cœurs purs désignant une disposition du cœur qu’on pourrait rapprocher de la sincérité et de l’honnêteté : un cœur qui n’est pas entaché par la malversation ou le mensonge … C’est le sens que nous donne le psaume 23 (24)

Ps 23,3 Qui peut gravir la montagne du Seigneur et se tenir dans le lieu saint ? 4 L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles et ne dit pas de faux serments. 5 Il obtient, du Seigneur, la bénédiction, et de Dieu son Sauveur, la justice.

De la même manière, les artisans de paix désignent ceux qui font œuvre de paix. Il ne faut pas réduire ce mot de ‘paix’ dans son sens commun c’est-à-dire l’absence de conflit et de guerre. Dans la pensée biblique, la paix, shalom, renvoie à une plénitude, une entente entre les hommes et avec Dieu. Ce don divin de la paix est souvent associé aux temps messianiques, temps que vient inaugurer la venue de Jésus.

A cause de moi

La béatitude sur les persécutés à cause de la justice révèle la fidélité intangible du croyant dans les épreuves. Cette béatitude sert ici de charnière. Car il met en parallèle ceux qui héritent du Royaume des cieux avec les disciples de Jésus qui devient la figure même de la justice de Dieu.

Les béatitudes, comme également l’ensemble du discours, dressent non pas seulement un modèle du disciple mais un portrait du Christ. Les béatitudes donnent à voir qui est Jésus. On entendra à ce propos, dans la suite de l’évangile, des versets qui ne sont pas sans évoquer nos béatitudes.

  • Mt 11,29 Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes.
  • Mt 3,15 Mais Jésus lui répondit : ” Laisse faire pour l’instant : car c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. ” Alors il le laisse faire.
  • Mt 25,35 Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire 
  • Mt 20,30 Et voici que deux aveugles étaient assis au bord du chemin ; quand ils apprirent que Jésus passait, ils s’écrièrent : ” Seigneur ! aie pitié de nous, fils de David ! ”

Heureux êtes-vous…

Lorsque le discours passe à la seconde personne du pluriel, les paroles de Jésus s’adressent plus particulièrement au présent du lecteur et historiquement à la communauté de Matthieu qui souffre de persécutions de toutes sortes et demeurent fidèle au Christ. Là est leur plénitude et leur bonheur : celui d’être attaché à la véritable justice divine et au vrai maître de la Loi qu’est le Christ. 

C’est dans cette fidélité, malgré les persécutions, que Jésus les qualifie de sel de la terre et surtout de lumière du monde. Cette ville située en haut d’une montagne, n’est pas sans rappeler ici l’assemblée des disciples autour de Jésus et sa Parole, qui nous vient nous révéler ici la destination de la Gloire de Dieu désigné comme ‘Père’.