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Homélie pour la solennité de saint Benoît (11 juillet)

INTRODUCTION.

Jésus, dans son Évangile, affirme le bonheur de ceux qui sont pauvres, le bonheur de ceux qui pleurent, le bonheur de ceux que l’on insulte ou le bonheur de ceux que l’on persécute… Leur bonheur tient au fait que Jésus appelle des pauvres et des malheureux : il n’est pas venu pour les bien portants mais pour les malades, pour ceux qui peinent et qui ploient sous le fardeau. Saint Benoît, dans sa Règle, adresse son appel à tout homme – quisquis – qui aime la vraie vie, qui cherche le bonheur, qui cherche Dieu et qui veut se convertir. Dieu appelle les pauvres, il ne faut pas s’étonner de notre pauvreté ou des pauvretés de notre Église, de nos communautés, c’est l’Évangile !

Demandons pardon à Dieu pour toutes les fois où nous avons désespéré de nous-mêmes ou de nos frères, pour toutes les fois ou nous avons  manqué de foi en la miséricorde de Dieu.

HOMÉLIE.

• Benoît, l’homme de l’Incarnation.

Lorsque Benoît quitte la grotte de Subiaco pour aller vivre avec des frères, il ne cesse pas d’être un homme de Dieu. Il apprendra même à l’être davantage en devenant, jour après jour, homme pour les autres. Usant du double commandement de l’amour, il établit une vie où l’unification de l’être et la stabilité de l’âme sont à chercher  dans l’attention portée au frère et dans la prise au sérieux des humbles choses d’ici-bas. En raison de sa foi en Jésus-Christ, le moine qui vit en communauté, le cénobite, espère en sa conversion comme en celle de ses frères. Il ne croit pas pour autant en une perfection qui supposerait l’exil de la terre. Aussi se refuse-t-il à abandonner le temps et l’espace, préférant faire de son monastère, sa demeure stable. Comme son corps, cette demeure fera véritablement partie de sa vie. Le novice entre dans le monde lorsqu’il entre au monastère, mais il ne cesse pas d’y être l’homme de la solitude et du désert. Il n’y a pas d’opposition entre l’amour de Dieu et l’amour de ses frères. Oser cette affirmation, permet de sortir d’une impasse. Le moine et le chrétien qui vit dans le monde ne mènent pas deux vies séparées, ils ont en commun d’être travaillés par l’Esprit-Saint, d’être visités par l’Immuable. Telle est l’anthropologie chrétienne mise en œuvre par le concile Vatican II dans l’affirmation d’un appel universel à la sainteté. Ne réclamant d’autre privilège que celui d’avoir le droit de se convertir, le moine implore son statut plus qu’il ne le revendique, il réclame le droit d’être un homme.

• Un chemin de patience pour “parvenir”.

La recherche personnelle de la présence de Dieu à travers la vie communautaire s’exprime forcément par la charité. Toute sagesse chrétienne débouche sur l’amour. Parce que Jésus est mort pour tous, personne ne peut plus vivre et mourir pour soi seul. Dans la vie communautaire, le chemin personnel du moine est accompli car le véritable bonheur relève de la communion des saints. Désormais, rien n’est privé, bien que tout s’enracine dans une démarche personnelle : la prière privée devient la prière de l’Église et la prière continuelle nécessite le silence vécu communautairement. La patience envers soi-même, la lente conversion et les larmes de la componction rendent possible la miséricorde et la patience envers autrui. Les fruits du chemin personnel et la renonciation à sa volonté propre, permettent de réciter ensemble le Pater et de s’incliner ensemble dans la doxologie. La communauté comme l’Église ne remplace pas la démarche personnelle du baptisé, elle en vérifie l’authenticité, elle l’accomplit, elle en est l’ouverture nécessaire.

• Une anthropologie universelle.

Parce que le Fils s’est fait homme, en tout semblable à nous, la grâce de l’Esprit-Saint que le Père nous donne, est la grâce de Jésus-Christ. Elle nous assimile au Fils, sans nous violenter dans notre nature humaine. Attentif à ce mystère, continûment à l’œuvre en son cœur, le moine devient plus apte à le percevoir chez l’autre. Parce que pour le moine, la rencontre avec le monde passe essentiellement par sa rencontre avec le frère, l’optimisme anthropologique, la bienveillance envers autrui, qui traverse la Règle amène à porter un regard optimiste, bienveillant sur le monde. Ce regard n’est pas naïf. Le mal existe, le moine comme tout homme le connaît et le combat mais il distingue l’homme du mal ; il s’agit « de haïr les vices et d’aimer les frères « .

La clôture et la stabilité dans la communauté ne sont pas évasion, sortie du monde, mais enracinement dans ce qui constitue l’universel concret :  l’amour de Dieu et l’amour des frères. Le moine qui milite sous la Règle de saint Benoît est un chercheur de Dieu, mais cette recherche passe par la médiation du frère, qu’il soit l’abbé, le pèlerin, le malade, n’importe quel frère, tout homme, le frère, la sœur a toujours le visage de Jésus-Christ, du moins telle est notre foi – c’est ce que l’on croit : credetur dit la Règle – . Le moine se révèle ainsi un frère universel qui reconnaît en tout homme le visage du Christ, son Roi, et qui se prosterne devant lui. La « manifestation » pour être véritable devra être humble et respectueuse. Conscient de sa pauvreté, le moine ne dit rien et la Parole qui jaillit de la communauté en sort grandie, selon le mystère de la Trinité où chaque ‘Personne’ s’efface afin que l’autre puisse ‘être’.

Le P. Balthasar a dit tout cela bien mieux que moi : « Le regard de l’amour chrétien est plein de foi et de contemplation croyante : la lumière allumée dans ce regard  fait s’illuminer aussi dans l’objet de l’amour, c’est-à-dire dans le prochain, la profondeur surnaturelle : ce pécheur, cet homme antipathique et sans intérêt, cet adversaire est en réalité mon frère, quelqu’un dont la faute comme la mienne a été portée par Jésus-Christ (de sorte que nous n’avons rien à nous reprocher l’un à l’autre) ; quelqu’un dont les défauts dont un fardeau qu’il traîne avec lui plus ou moins consciemment et qui aura, par la grâce de Dieu, quelque lien invisible pour moi avec la charge totale pesant sur les épaules de Jésus-Christ. »