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Le sacerdoce dans la vie monastique

Quelques réflexions à l’occasion de l’ordination presbytérale de notre frère Aimé

1.        Fondements du ministère presbytéral dans l’Ecriture[1]

A.       Le sacerdoce dans l’Ancien Testament

Aujourd’hui, je voudrais commencer par le sacerdoce dans l’Ancien Testament. Pour définir la médiation du Christ, l’épître aux Hébreux la rapproche d’une fonction qui existait en Israël, mais aussi dans toutes les religions, celle des prêtres : « Demeurant pour l’éternité, Jésus possède un sacerdoce immuable » (He 7, 24).

Pour comprendre le sacerdoce de Jésus, il faut connaître avec précision le sacerdoce de l’Ancien Testament qui l’a préparé et qui l’a préfiguré.

Chez les peuples païens qui entourent Israël, la fonction sacerdotale est souvent assurée par le roi qui est assisté par un clergé hiérarchisé, héréditaire et qui constitue une caste. Nous n’avons rien de tel chez les Patriarches (Abraham, Isaac, Jacob, Joseph et leurs enfants) : nous n’avons dans les premières pages de la Bible aucun temple, aucun prêtre du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Nous voyons parfois les patriarches qui construisent des autels en Canaan et qui offrent des sacrifices, mais en agissant ainsi ils remplissent plus une fonction familiale, tribale, que sacerdotale. Les seuls prêtres qui apparaissent dans le Livre de la Genèse sont des étrangers : Melchisédech, le prêtre-roi de Jérusalem et les prêtres du pharaon. La tribu de Lévi n’est encore qu’une tribu profane sans fonctions sacrées (Gn 34, 25-31 ; 49, 5ss).

C’est à partir de Moïse, lévite lui-même (membre de la tribu de Lévi) que cette tribu va se spécialiser dans les fonctions cultuelles : elle est élue, et consacrée par Dieu lui-même, pour son service. Les lévites sont alors attachés aux sanctuaires du pays ; à côté de cette tribu, on trouve toujours un sacerdoce familial (comme chez les Patriarches) qui continue de s’exercer (Jg 6, 18-19 ; 13,19 ; 17,5 ; 1 Sam 7,1…).

Sous la monarchie, à partir de Saul, le roi exerce certes des fonctions sacerdotales, comme offrir des sacrifices ou bénir le peuple, mais il ne reçoit pas le titre de prêtre (sauf dans le Psaume 110,4 qui compare le roi à Melchisédech) ; le roi d’Israël n’est pas membre de cette caste sacrée, la tribu de Lévi.

Cette tribu depuis le roi David est une institution organisée, chargée du Temple de Jérusalem, devenu depuis David le centre cultuel d’Israël, mais aussi de tous les sanctuaires locaux à travers le pays.

La réforme de Josias en 622, supprime tous les sanctuaires locaux et consacre le monopole lévitique et la suprématie du sacerdoce de Jérusalem réservé aux seuls descendants de Sadoq. Désormais, dans la tribu de Lévi, seuls les descendants de Sadoq sont prêtres, tous les autres sont des lévites (cf. Ez 44, 10-31).

Lorsque le Temple de Jérusalem sera détruit en 587 et que la royauté d’Israël sera supprimée (jusqu’à Jésus), il ne reste plus que les prêtres. Désormais, sur les fleuves de Babylone, ils sont les gardiens des traditions et de la Parole de Dieu.

On trouve pendant l’exil et après l’exil une hiérarchie sacerdotale très rigoureuse : Au sommet, le Grand-Prêtre, fils de Sadoq, considéré comme le successeur d’Aaron, le prêtre type. C’est lui, en quelque sorte, en l’absence de roi, qui devient le chef de la communauté juive. En dessous de lui, les prêtres, puis les lévites.

A l’époque de Jésus, depuis 150 ans, le grand-prêtre n’est plus issu de la lignée de Sadoq, il est donc méprisé par le clergé traditionnel et soulève l’opposition des pharisiens qui considèrent que ces grands prêtres sont plus des chefs politiques et militaires que des hommes religieux…         Demain nous verrons quelles étaient les fonctions du prêtre dans l’Ancien Testament et quel était l’idéal du prêtre de l’Ancien Testament.

Après avoir vu l’histoire du sacerdoce dans l’Ancien Testament, regardons les différentes fonctions de ces prêtres et leur idéal.

Ils exercent deux ministères : le service du culte et le service de la parole.

Le culte. Le prêtre est l’homme du sanctuaire ; son acte essentiel est le sacrifice. C’est là qu’il apparaît le mieux dans sa fonction de médiateur : il présente à Dieu l’offrande des fidèles et leur transmet la bénédiction de Dieu. Une fois par an, le grand-prêtre apparaît dans son rôle de médiateur suprême, le jour de l’expiation (Lv 16), pour le pardon de toutes les fautes de son peuple.

Le service de la Parole. En Israël, c’est par les Prophètes, poussés par l’Esprit, que Dieu s’adresse à son peuple. Mais il existe aussi une forme traditionnelle de la Parole de Dieu qui a son point de départ dans les clauses de l’Alliance et dans la Loi de Moïse. Les prêtres sont les ministres de cette Parole. Dans les fêtes liturgiques juives, ils rappellent les grands évènements de l’Alliance et ils proclament la Torah dont ils sont les interprètes. Dans l’Ancien Testament, le prêtre est l’homme de la Parole de Dieu, sous sa forme de l’histoire du salut et sous sa forme législative. Ce sont les prêtres qui, pendant l’exil, ont rédigé la grande partie du Pentateuque en particulier le Deutéronome, et d’autres textes législatifs de l’Ancien Testament.

Cependant, du temps de Jésus et depuis déjà quelques siècles, les juifs se rassemblent non seulement au Temple, mais aussi dans les Synagogues sous l’autorité des scribes qui étaient la plupart du temps des pharisiens ; en ce temps, les prêtres se concentraient donc surtout sur les actes rituels.

Lorsqu’on lit les Prophètes, on pourrait penser que ces prêtres étaient des hypocrites, plus attachés à leur intérêt personnel, tentés de pratiquer le syncrétisme religieux… en fait, les prophètes condamnent les mauvais prêtres pour rappeler à tous les prêtres l’idéal de leur ministère : pratiquer la pureté du culte et être fidèle à la Torah. Le prophète Ezéchiel définit ce qu’est la pureté et la sainteté des prêtres (Ez 44, 15-31).

Quoi qu’il en soit, le peuple en est venu dans le Judaïsme tardif à la conclusion suivante : il est impossible d’attendre d’un homme cette sainteté et cette pureté, seul Dieu peut nous apporter cette pureté et cette sainteté !

Le Peuple juif a alors mis son espérance dans la venue du Messie qui serait à la fois prêtre et roi. Ce Messie permettrait au peuple de réaliser sa vocation profonde, d’être un « peuple de prêtres » (Ex 19,6 ; Is 61,6 ; 2 Mac 2,17). Israël sait qu’il est le seul peuple au monde qui assure le culte du vrai Dieu, et lorsque viendra le Messie, prêtre et roi, Israël pourra rendre au Seigneur le culte parfait (Ez 40-48 ; Is 60-62…).

Cette conclusion permet de comprendre que le sacerdoce dans l’Ancien Testament ne prend tout son sens qu’en Jésus qui va accomplir ses valeurs en les dépassant.

B-       Le sacerdoce dans le Nouveau Testament

Jésus, dans l’Evangile, ne s’attribue jamais le titre de prêtre qui était réservé aux membres de la tribu de Lévi.

En revanche, lorsqu’il parle de sa mort, il la présente comme un sacrifice qu’il compare au sacrifice expiatoire du serviteur d’Isaïe (Is 55 // Mc 10, 45 et 14, 24), ou encore au sacrifice d’Alliance de Moïse au pied du Sinaï (Ex 24, 8 // Mc 14, 24). Son sang qu’il donne évoque celui de l’agneau pascal (Ex 12 //Mc 14, 24).

Cette mort qu’on lui inflige, Jésus l’accepte et il l’offre comme le prêtre offre la victime et il en attend l’expiation des péchés, le salut de son peuple. Jésus est le prêtre de son propre sacrifice.

La seconde fonction des prêtres de l’Ancien Testament était le service de la Torah. Or, Jésus vient pour accomplir la Loi ; il refuse une interprétation littérale de la Loi et met en valeur le double commandement de la Loi (aimer Dieu et aimer son prochain) comme contenant toute la Loi de Moïse. En agissant ainsi, Jésus prolonge le ministère des prêtres de l’Ancien Testament, mais il le dépasse largement car la Parole de Jésus est désormais la seule interprétation de la Loi.

       Saint Paul revient souvent sur la mort de Jésus et il la présente aussi sous les figures du sacrifice de l’Agneau pascal (1Co 5, 7), du Serviteur d’Isaïe (Ph 2, 6-11). Cette interprétation réapparaît lorsque saint Paul nous parle de la communion au Corps et au Sang du Christ (1 Co 10, 16-22), à la rédemption par ce sang (Rm 5, 9 ; Col 1, 20 ; Ep 1, 7 ; 2,13). La mort de Jésus est, pour Paul, le sacrifice suprême, l’acte proprement sacerdotal qu’il a offert lui-même. Ceci dit, Paul, pas plus que les Evangiles synoptiques ne donnent à Jésus le titre de prêtre.

       Dans l’Evangile de Jean, Jésus avant de s’offrir en sacrifice prononce la prière sacerdotale (Jn 17) comme le prêtre qui va offrir un sacrifice. Jésus se « sanctifie », c’est-à-dire se consacre par le sacrifice (Jn 17, 19) et il peut ainsi exercer une médiation efficace à laquelle le sacerdoce ancien ne pouvait pas prétendre.

       Le seul texte du Nouveau Testament qui parle longuement du sacerdoce du Christ est l’Epitre aux Hébreux. L’auteur reprend les même thèmes : la croix comme sacrifice d’expiation, l’alliance renouvelée par le sang du Christ et le Serviteur d’Isaïe.

Cependant, ce texte concentre son attention sur le rôle personnel du Christ dans l’offrande de sa vie, présenté comme un sacrifice. Pour l’auteur de l’Epitre, Melchisédech, le prêtre païen de Jérusalem (dans la Genèse) préfigurait Jésus, car on ne connaît pas son père et il annonce ainsi l’éternité du Fils de Dieu.

Le sacerdoce de Lévi est inférieur à celui de Jésus qui est le Prêtre saint, le seul prêtre authentique, dont le sacerdoce met fin au sacerdoce de l’Ancien Testament. Il est vraiment le seul prêtre car il est le seul médiateur entre Dieu et les hommes car vraiment Dieu et vraiment homme.

Il a accompli un seul sacrifice, le sien, ce sacrifice est éternel ; désormais il est pour tous les siècles le véritable intercesseur et le véritable médiateur de la nouvelle Alliance.

En conclusion, il est possible de dire que si l’Ancien Testament avait distingué les médiations du roi, du prêtre et du prophète, Jésus réunit en sa personne toutes ces médiations : il est Fils de Dieu car il est la Parole éternelle qui dépasse le message des prophètes, il est roi car il a une autorité et un amour inconnu jusqu’alors, et il est le prêtre parfait car le médiateur unique entre Dieu et son peuple.

2.        Le Ministère presbytéral dans l’histoire de l’Eglise

Après avoir vu la préfiguration du ministère presbytéral dans l’AT, puis son fondement en Christ dans le NT, et les débuts de sa mise en œuvre dans l’Eglise, nous allons voir aujourd’hui comment ce ministère a été vécu durant les premiers siècles du christianisme et jusqu’au XXe siècle.

Lorsque nous lisons les premiers Pères de l’Eglise jusqu’au milieu du second siècle, nous voyons se développer la pratique des ministères dans l’Eglise de la même manière que dans le Nouveau Testament, tout d’abord il n’y a pas à proprement parler de principes théologiques qui précèdent la pratique, mais une pratique qui relève des besoins des communautés. Ensuite, il y a l’œuvre de l’Esprit de Dieu qui suscite des charismes particuliers pour répondre aux besoins des communautés.

C’est ensuite, mais ensuite seulement que l’on va réfléchir à ce que nous appellerions aujourd’hui une théologie des ministères, c’est ainsi que certains ministères existaient dans l’Antiquité et ont ensuite disparu car ils ne correspondaient plus aux besoins réels des communautés.

Avec saint Irénée de Lyon, dans la seconde moitié du 2nd siècle, on voit déjà apparaître clairement les trois ministères de diacre, de prêtre et d’évêque. L’évêque a deux mains, celle des prêtres et celle des évêques. Incontestablement, celui qui, dans le diocèse tient la place du Christ, c’est l’évêque ; les diacres en tant que représentants du Christ Serviteur et les prêtres en tant que représentant du Christ prêtre agissent uniquement par délégation de l’évêque.

Irénée est sensible au fait que, par l’imposition des mains, chaque diocèse se rattache aux Apôtres par la succession apostolique. Chaque diocèse est non seulement une partie de l’Eglise, mais il est l’Eglise tout entière car, par le ministère de l’évêque et de ses auxiliaires que sont les prêtres et les diacres, le baptême peut être donné, l’Evangile proclamé et l’Eucharistie célébrée. Grâce à la communion avec l’Evêque de Rome, successeur de saint Pierre et de saint Paul, toutes les Eglises sont unies dans la foi et constituent la seule Eglise du Christ que saint Irénée désigne déjà par l’expression « La Catholique ». L’Orient jusqu’à ce jour a gardé vivante cette conception d’Irénée avec, par la suite des développements qui eurent lieu aussi dans l’Antiquité chrétienne, celui des Patriarcats qui rassemblent des Eglises d’une même région autour d’un Patriarche eux-mêmes unis entre eux autour du Patriarche de Constantinople (Istambul aujourd’hui) depuis la rupture avec celui qui était désigné par l’expression « primus inter parens », le premier parmi les égaux, le Patriarche de Rome.

            En Occident, peu à peu, avec la rupture avec l’Orient, le rôle du pape va se développer au point d’apparaître comme le Chef de l’Eglise. Les évêques ne seront plus considérés comme des pasteurs à part entière, mais comme des préfets du pape, chargés d’appliquer les décisions de Rome et de les faire appliquer par les prêtres. Cette conception va même aller chez certains théologiens jusqu’à mettre en doute le caractère sacramentel de l’épiscopat ; l’évêque apparaît plus comme un archiprêtre que comme un successeur des Apôtres.

Dès lors, face à ce déficit de la théologie de l’épiscopat, c’est la théologie du prêtre qui va se développer, évoluer et occuper toute la place. Ce n’est plus alors l’aspect pastoral qui prédomine, mais le caractère sacré ; le prêtre est devenu l’homme du sacré. Au second millénaire, on verra énormément de prêtres ordonnés uniquement pour célébrer la messe pour les défunts, en particulier dans les monastères (l’usage des messes privées était alors très répandu) et non pas pour s’occuper du peuple de Dieu ; cette évolution a influencé la conception du prêtre jusqu’à Vatican II où l’on va revenir à la théologie des premiers siècles et à celle de l’Orient.

Nous verrons ensuite comment la tradition monastique va se situer dans ces différentes périodes de l’Eglise, celle des débuts, puis au Moyen Age et jusqu’au XXe siècle avec Vatican II.

3.        Le Ministère presbytéral dans l’histoire de la vie monastique

Il est possible de dire qu’à chaque époque, la conception du sacerdoce dans l’Eglise a influé largement sur la conception du sacerdoce dans la vie monastique, mais aussi réciproquement car la pratique d’un sacerdoce monastique (très important à certaines époques) a aussi fortement influencé la vision du sacerdoce dans l’Eglise.

            Dans les premiers siècles, nous voyons une pratique du monachisme très différenciée selon les lieux. Une constante cependant s’impose dans l’empire romain, en Orient comme en Occident : l’évêque est le père du monastère.

            En Egypte comme en Palestine, un vieil adage forgé par Cassien, va se répandre : « le moine doit se méfier des femmes et des évêques ». De fait, il arrivait parfois que les évêques imposent les mains à de jeunes moines doués et rayonnant pour ensuite les intégrer dans leur presbyterium. Dans ces deux Eglises, mais aussi en Syrie et en Perse, sacerdoce et monachisme étaient considérés comme incompatibles. Les moines se rendaient le dimanche à la paroisse pour l’eucharistie. Deux arguments reviennent souvent pour justifier ce refus d’ordonner prêtre un moine :

–               La crainte qu’il ne devienne orgueilleux et qu’il n’en vienne à dominer ses frères par son sacerdoce.

–               Le sentiment de pauvreté spirituelle et d’indignité qui caractérisent souvent le moine.

En revanche, en Cappadoce, saint Basile pour que les communautés monastiques soient mieux intégrées dans les Eglises locales, parle de prêtres présents dans ses communautés.

En Occident, Augustin écrit une règle pour les prêtres qui donnera naissance plus tard à la Congrégation des Chanoines réguliers et il écrit aussi une règle pour les moniales, puis pour les moines où le lien vie monastique / prêtres est assumé.

Benoît, lorsqu’il écrit sa propre Règle, est fidèle à l’héritage de l’Orient tout en prévoyant l’accueil de prêtres et l’ordination de frères.

Il insiste sur le danger de l’orgueil lié au sacerdoce et la nécessité de l’humilité.

Il écrit le chapitre 62 de sa Règle pour les moines appelés au sacerdoce.

Au verset 1, le frère choisit par l’abbé doit être « digne ». Comme nous l’avons vu dans la liturgie de l’ordination, le frère digne est le frère qui a été choisi et qui est présenté à l’évêque. Je ne suis pas digne parce que je me proclame digne, mais parce que Dieu m’a choisi par la médiation de l’Abbé ou du Prieur.

Dans les versets 2 à 5, l’insistance porte sur l’obéissance du frère qui n’est pas « prêtre moine » mais « moine prêtre », c’est-à-dire d’abord moine. L’image du rang de la profession est là pour le lui rappeler.

Les versets 6 à 11 développent les conséquences du fait qu’il oublie ses engagements monastiques à cause de son sacerdoce car la communauté dit Benoît (sauf à l’autel) ne verra pas le prêtre, mais le moine rebelle.

Benoît nous permet d’avoir des prêtres en communauté et nous l’en remercions. Nous savons que ce ministère est au service de la vie monastique, et non pas un accomplissement de la vie monastique qui n’a pas besoin du sacerdoce pour s’épanouir et s’accomplir. Le bonheur, que l’on soit prêtre ou pas, est à chercher dans la vie monastique, dans ce qui la constitue et la structure.

4.        La spiritualité du sacerdoce monastique

A travers les siècles, en particulier à partir du Moyen Age, on va développer un sacerdoce purement contemplatif et rendre légitime un sacerdoce dépourvu de charge pastorale, en le rattachant au mystère nuptial du Christ et de l’Eglise sur la Croix.

Pour justifier ce sacerdoce, on se rattache souvent à saint Thomas d’Aquin et au Concile de Trente pour qui le sacerdoce est surtout lié à l’Eucharistie, en lien avec la médiation du sacerdoce du Christ.

Vers le XVIe-XVIIe siècle, en particulier avec l’Ecole française de spiritualité (Bérulle, saint Vincent de Paul, M. Ollier, Bossuet…), on va développer l’idée du prêtre configuré au Christ. Jésus n’est pas prêtre seulement à la Cène et au Calvaire, il l’est toujours, en tout ce qu’il fait, puisque son sacerdoce est coextensif (s’étend) à son incarnation : toutes les actions du Christ sont sacerdotales. Le prêtre agit donc officiellement comme prêtre, d’une manière continue par le fait même qu’il existe un état sacerdotal (médiation permanente et ontologique du Christ dans toutes les actions que pose le prêtre).

Cette conception est digne d’intérêt pour le sacerdoce monastique qui ne se définit pas par la charge pastorale, mais sur sa valeur essentielle et fondamentale, primordiale, de configuration au Christ.

Au XXe siècle, après la seconde guerre mondiale, ce sacerdoce contemplatif sera remis en question dans l’Eglise. Ces justifications traditionnelles du sacerdoce monastique seront rejetées au nom d’un sacerdoce pragmatique, celui de l’urgence du travail pastoral.

A cette époque, on redécouvre aussi l’importance du sacerdoce baptismal des fidèles où est montré que le caractère baptismal suffit à réaliser cette configuration ontologique au Christ.

Le sacrement de l’Ordre est donc essentiellement et d’abord ordonné au ministère, afin que l’Eglise soit constituée dans la plénitude de sa vie eucharistique. Le P. Abbé André Louf réagira à la survalorisation du sacerdoce monastique en montrant que la vie monastique suffit à configurer le chrétien au Christ.

A l’intérieur du monachisme, d’autres facteurs vont contribuer à remettre en question le sacerdoce monastique. Tout d’abord, le mouvement liturgique qui travaille les textes de la Tradition et qui montre que la célébration quotidienne de la messe privée, essentielle au sacerdoce monastique, contredit la tradition de la liturgie. A l’intérieur même du monachisme, le sacerdoce monastique sera remis en question avec la redécouverte de l’ancienne tradition égyptienne et palestinienne des premiers siècles qui ne connaissait qu’un sacerdoce fonctionnel, purement ministériel et qui voyait dans le sacerdoce une déviation par rapport à l’idéal monastique de fuite du monde et d’humilité. En plus, on voyait le risque de la tentation de l’apostolat, le problème des études, l’abandon du travail manuel et la division des communautés monastiques en deux groupes.

Le P. Adalbert de Vogüé a largement défendu cette position et, on peut le dire, l’a emporté dans la plupart des monastères français où l’on avait arrêté d’ordonner des prêtres, jusque dans les dernières années du XXe siècle.

En conclusion, je dirais ceci, je suis très heureux que nous soyons sortis d’un système où l’ordination était systématiquement liée aux études et où il y avait deux classes de moines. Aujourd’hui, le ministère presbytéral est redevenu ce qu’il était pour saint Benoît, un service de communauté. Ceci dit, tout ce qui a été découvert sous l’inspiration de l’Esprit à travers les siècles n’est pas à jeter aux orties, mais à approfondir ; lorsqu’un moine devient prêtre, son sacerdoce est, pour lui, l’occasion de s’unir davantage au Christ, de découvrir dans sa chair combien le Christ passe par l’homme pour conduire ses frères à Dieu, c’est vrai du prêtre, mais c’est vrai aussi pour chaque moine à un niveau différent et c’est ce mystère du sacrement du frère que le prêtre apporte à la communauté, c’est ce mystère aussi qui doit devenir l’émerveillement de sa vie.


[1]Source largement utilisée : Augustin GEORGES, Art. « Sacerdoce », in Vocabulaire de Théologie biblique, Paris, Cerf, 1966, col. 959-968.