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Solennité du Saint-Sacrement (Mc 14, 12-16.22-26)

2 juin 2024.

Nous célébrons aujourd’hui la fête Dieu, la fête du Corps et du Sang du Christ manifestés et donnés dans l’Église chaque dimanche et même chaque jour sous la forme d’un morceau de pain et de quelques gouttes de vin.

Le pain, dans certaines cultures, signifie la vie, nous disons « gagner son pain » pour dire « gagner sa vie »… Nous utilisons certaines expressions qui montrent la réalité de ce symbole : un « morceau de pain » car on se bat pour avoir une terre ; on s’invite à boire un verre car le vin est symbole de la joie de vivre.

Quand Jésus prend le pain et le vin pour nous donner son Corps et son Sang, c’est tout cela qu’il prend en compte pour nous dire la réalisation de nos rêves les plus fous, rêves de vivre, rêves de fraternité et de communion, rêves de voir Dieu. Il prend notre langage pour nous dire son amour, pour nous le donner, pour nous donner d’y communier et pour se rendre lui-même présent, définitivement présent à travers un geste, le geste, le geste définitif de l’amour, le geste de la croix. Dans les cultures africaines, le pain n’existait pas, le vin non plus, mais avec la mondialisation, lorsque les gens veulent fêter ils achètent du pain et un carton ou une bouteille de vin. Nous pouvons donc parfaitement comprendre le sens profond de ce langage biblique auquel Jésus a recours ce matin pour nous parler.

Confions à Dieu nos désirs d’être aimés, nos désirs de fraternité et de partage et demandons pardon pour toutes les fois où nous avons refusé d’aimer et de partager.

Si l’institution de l’Eucharistie s’inscrit dans le contexte du repas pascal, elle est avant tout une célébration éminemment chrétienne, une fête qui ne se comprend qu’instituée par Jésus lui-même.

« Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour ton repas pascal? » –.  Notons comment les disciples disent à Jésus « ton » repas pascal.  C’est en effet un repas tout autre que celui de la Pâque ancienne, qu’ils veulent célébrer.

Lorsqu’ils arrivent à la « maison », ils disent au propriétaire : « Le maître te fait dire où est ma chambre haute où je puis célébrer la Pâque avec mes disciples » (Cette nuance importante – « ma » chambre haute – n’apparaît pas dans la traduction actuelle du lectionnaire).

Tout au long de sa vie, Jésus a voulu nous livrer ce message personnel, nous révéler le secret du bonheur et la force de l’amour ; les Évangiles nous parlent de cet immense désir :

« J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir » (Lc 22,15) ;

Il lui arrive même de parler à la première personne et de nous livrer son sentiment intérieur sur sa mort prochaine : « Le feu que je suis venu apporter… la coupe que je vais boire… le baptême dont je dois être baptisé… ».

Sa vocation est ressentie par Jésus comme une feu qui le dévore, un baptême qui le saisit, une coupe à absorber.

Cette fête que nous célébrons aujourd’hui, je vous invite donc à y entrer à partir de l’image d’une lettre que vous recevez, écrite par un ami, juste avant de mourir. Dans cette lettre, un ami nous explique sa vie, le sens de sa vie, il nous l’explique parce que nous ne l’avons pas compris… En nous l’expliquant, il nous permet d’y participer.

Ce testament de Jésus, ce sont quelques gestes, quelques paroles, un bout de pain et un peu de vin.

Le pain que Jésus prend dans ses mains lors de la Cène est le même pain qu’il a pris sur la table, fait de la même farine que des centaines d’autres semblables. Si Jésus peut dire de ce pain qu’il distribue aux siens « Ceci est mon Corps », s’il établit une telle correspondance entre le pain qu’il distribue et sa vie qu’il va livrer, si le pain devient son Corps c’est que son corps est déjà un aliment. Jésus ne s’est pas donné pour rire ; comme le pain déposé sur la table, il appartient aux hommes qui en feront ce qu’ils voudront. Le pain qu’il prend sur la table pour le changer en son corps voici trente ans que Jésus l’absorbe chaque jour et le transforme en son corps, il sait la signification du pain pour les hommes.

Il sait aussi que sa vie ne se donne pas à travers n’importe quel pain et n’importe quel vin. Elle se donne à travers un pain rompu, fractionné et distribué, à travers un vin versé, répandu et partagé. Il ne s’agit évidemment pas de magie. Ces gestes forts rendent présent un homme qui, devant sa mort, a choisis ces gestes pour exprimer sa disposition à payer de sa vie la confiance en Dieu son Père et l’amour de ses frères. Son corps a été rompu et son sang a été versé, mais ses disciples ont eu l’immense surprise de le rencontrer à nouveau vivant par-delà sa mort. Ils ont perçu un lien très étroit entre cette expérience vertigineuse et les gestes que Jésus leur avait laissés. Ces gestes sont ainsi devenus des signes privilégiés de son amour plus fort que la mort.

Le pain eucharistique n’est pas une nourriture pour ceux qui sont déjà repus. Il ne l’est que pour des hommes, des femmes et des enfants, qui se souviennent, que la vie est aussi un désert après avoir été un esclavage, pays de serpents brûlants et de scorpions, pays de la sécheresse et de la soif, pays de la faim et de la pauvreté.

La foi dans la présence réelle suppose encore un minimum d’humilité. Pour pouvoir accéder à cette foi, il convient d’avoir vérifié son incapacité de forger par soi-même une vie meilleure ou de rassasier par soi-même la faim qui nous habite. Il convient en d’autres termes de se disposer à recevoir d’un Autre ce qui nous manque. Il convient enfin et surtout de se faire à l’idée qu’il n’y a pas de nourriture plus riche, plus consistante et plus impérissable que l’amour dont Jésus a vécu.