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Le Fils de l’homme ?

Lundi de la 13ème Semaine du Temps Ordinaire (Mt 8, 18-22) / 1er juillet 2024

En hébreu, la formule hébraïque ben adam, « fils d’homme » ou « fils d’Adam », comme la formule araméenne équivalente, sont courantes pour désigner un être humain, spécialement quand on veut insister sur son caractère spécifique en l’opposant à des animaux, ou inversement à Dieu.

Parmi tous les fils d’homme de la Bible, il en est un particulièrement célèbre : celui du Livre de Daniel. Succédant à des bêtes horribles qui symbolisent les empires païens, il symbolise à son tour « le peuple des Saints du Très-Haut » recevant de Dieu, au bout du compte, une « royauté » universelle (Dn 7, 1-27). Il ne paraît pas douteux que Jésus, qui proclamait l’arrivée toute proche d’un « Règne de Dieu » parmi les hommes, ait eu la prophétie de Daniel très présente à l’esprit.

Cependant rien n’oblige à penser que, chaque fois qu’il parlait d’un fils d’homme, il faisait allusion à quelque chose d’aussi sublime et d’aussi complexe. Parfois l’accent est mis plutôt sur le caractère typiquement humain du personnage en question. Jésus se désignait avec une périphrase pour jeter un éclairage précis sur ce qu’il voulait dire, sur la manière dont il entendait s’impliquer.

On cite souvent sa phrase sous la forme : Le Fils de l’homme n’a pas « une pierre » où reposer sa tête. Cette pierre incline à y voir une profession de pauvreté, de dépouillement total.

Le texte ne dit pas cela, en tout cas pas en première ligne. Un homme, un scribe, d’après Matthieu, est venu déclarer à Jésus : « Je te suivrai où que tu ailles. » Et l’on pense aux premiers disciples demandant, selon Jean, comme prise de contact : « Maître, où habites-tu ? » Là, Jésus répondait : « Venez, et vous verrez » (Jn 1, 39).

Ce que nous avons ici en Matthieu et Luc est tout à fait dans la même ligne. Il n’est pas demandé de renoncer, pour suivre Jésus, à toute possession ni à tout confort, même élémentaire –  ce sera dit ailleurs – il est demandé de renoncer à savoir d’avance où l’on reposera sa tête, c’est-à-dire où l’on aura un lieu de halte et de repos, un domicile, une adresse.

C’est pourquoi je ne connais pas de meilleur commentaire à ce verset d’Evangile que l’admirable aphorisme d’un grand mystique musulman du IXe siècle, Dzoul Noûn : « Le véritable ami est celui qui, lorsque tu lui dis : Viens ! ne demande pas : Où ? »

L’expérience mystique d’un musulman n’est évidemment pas celle d’une relation avec Jésus, comme pour un très grand nombre de mystiques chrétiens, mais celle d’une relation avec le Dieu transcendant. Aussi le rapprochement que je propose montre-t-il bien que « suivre Jésus » est une entreprise qui se situe à deux niveaux. Il faut, certes, adopter après lui la règle du jeu de sa vie humaine, « se vider », et se rendre obéissant (Ph 2, 6-7). Mais suivre Jésus, c’est aussi entrer dans le jeu même de Dieu ; et pour cela on doit accepter son entière et vertigineuse liberté, sans condition préalable, sans limitation d’aucun balisage tracé d’avance, sans exiger de point fixe où se raccrocher. L’amitié suffit.

Il y a deux rapprochements de mots entre Matthieu et l’Évangile de Jean qui ne sont pas fortuits, et qui donnent à notre passage comme une perspective en profondeur.

Les nids des oiseaux du ciel sont désignés ici par le mot kataskênôseis ; et, dans la comparaison du grain minuscule devenu un grand arbuste où les oiseaux peuvent nicher, c’est le verbe kataskênoun qui est encore employé. Or ce même verbe skênoun (quoique sans le préfixe) exprime dans le prologue de Jean le fait que le Verbe de Dieu a « campé » parmi nous (Jn 1, 14).

A l’autre bout du quatrième Évangile et de l’aventure terrestre de Jésus, au moment où il « remet l’Esprit » à son Père, Jean dit que, pour ce faire, il « reposa sa tête » (Jn 19, 30), avec le même verbe klinein que dans notre passage de saint Matthieu.

Jésus n’a pas de tanière où se blottir, de nid où se réfugier, parce que sa demeure à lui, celle qu’il a choisi d’habiter (sous la tente, selon le sens premier et propre de skênoun), c’est le monde et l’humanité. Tant qu’il en courra les chemins, il ne sera pas question pour lui de reposer sa tête. Il la reposera, oui, un jour : sur sa croix.

Avis à celui qui veut se mettre à sa suite.