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Jeudi de la 9ème Semaine du Temps Ordinaire (Mc 12, 28b-34)

6 juin 2024;

Les pharisiens puis les sadducéens avaient tenté de piéger Jésus sur des questions de discipline et de croyance. Leur objectif aux uns comme aux autres étant de mettre Jésus en porte-à-faux, notamment vis-à-vis d’un soutien populaire qui ne leur permet pas de l’arrêter (12,12).

Cette fois-ci, ce n’est plus un groupe qui intervient mais un seul scribe. L’attitude de ce dernier à l’égard de Jésus est décrite de manière positive. Jésus lui-même le considérera avec bienveillance. Pourtant les scribes furent cités parmi les acteurs de sa Passion prochaine (10,33), et seront bientôt l’objet de vives critiques (12,38-40). Mais cette fois-ci un scribe – mais un seul – révèle la perspicacité de Jésus face aux pharisiens et sadducéens.

Les pharisiens et les sadducéens ont toujours abordé leurs questions du point de vue de la Loi :  Est-il permis ou non…(12,14) et Moïse nous a prescrit que… (12,19). Le scribe, homme versé dans les Écritures, a pu observer notamment sa manière d’y répondre. Jésus a toujours évité l’usage légaliste et casuistique des Écritures ou leur instrumentalisation à des fins politiques ou idéologiques. Il leur redonne ce caractère propre d’une Parole d’Alliance venant de Dieu.

Dès lors la question du scribe n’est pas une question piège. Elle invite Jésus à exprimer son rapport à la Loi de Moïse. La question est typique de celle qu’un disciple poserait à un docteur de la Loi qu’est un scribe. Les rôles s’inverseraient-ils ? En demandant quel est le premier des commandements, le scribe ne veut pas obtenir un classement des 613 prescriptions de Moïse, mais entendre s’il est un commandement primordial qui résumerait en lui-même toute la Loi. Le scribe s’adresse donc au maître, non pour le flatter hypocritement comme ses prédécesseurs mais pour recevoir de lui une sagesse pertinente pour la vie du croyant.

Jésus cite littéralement deux versets tirés du livre du Deutéronome (Dt 6,4-5 Écoute Israël…) et du livre du Lévitique (Lv 19,18 Tu aimeras ton prochain…). En citant ces deux versets, Jésus, contrairement aux pharisiens et sadducéens, met en exergue non pas le verbe permettre ou prescrire mais le verbe aimer. L’objet de la Loi a donc pour essence l’amour de Dieu et du prochain.

Jésus n’invente rien. Il reprend ici la tradition juive dans laquelle il s’inscrit et l’interprétation des scribes de son époque qui fait du respect du semblable, notamment le plus fragile, un élément incontournable de la foi au Dieu unique d’Israël.  Mais serait-ce tout ?

Chez Marc, ce passage est le seul où s’entend le verbe aimer plusieurs fois, à l’exception – et ce n’est pas un hasard – de l’épisode de l’homme riche cherchant que faire pour avoir la vie éternelle (10,17-31). Aimer est un enjeu salutaire. Ce verbe qualifie non un sentimentalisme de surface, de piété ou de scrupule mais un véritable engagement. Le Shema Israël (Dt 6), d’où Jésus tire sa première citation, définit ainsi l’amour comme un rapport plein et entier entre le croyant et l’unique Seigneur d’Israël. Tout l’être est engagé par cet amour : tout le cœur, toute l’âme, toute force. L’attachement à Dieu se comprend dans un engagement total. À l’image de celui du Seigneur qui s’engage pleinement pour son peuple. Et cet amour d’Alliance, inconditionnel, exige un amour plein et entier envers le prochain.

Les contextes de ces citations sont très éclairants. Ainsi, comme il est fait écho à l’ensemble du Shema Israël (Dt 6,5), l’amour du prochain fait partie de l’ensemble des Lois de sainteté : Le Seigneur adressa la parole à Moïse : Parle à toute la communauté des fils d’Israël ; tu leur diras : Soyez saints, car je suis saint, moi, le Seigneur, votre Dieu. (Lv 19,1-2). Aimer son prochain, faire pour lui comme l’on ferait pour soi-même, dans ce même respect, contribue à la sainteté du peuple croyant, c’est-à-dire à sa proximité avec Dieu.

Bien plus, en unissant ces deux commandements, Jésus donne à l’amour du prochain comme soi-même un engagement tout aussi total. Et l’on pourrait ainsi retraduire : tu aimeras ton prochain comme toi-même aime Dieu : de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force. Car s’il y a deux commandements, il n’y a qu’un seul verbe aimer.

 

Le scribe donne raison à Jésus. Dans sa bouche les deux versets font maintenant une seule et même phrase tel un unique commandement. Bien plus, à travers sa réponse, et en bon scribe qu’il est, il peut comprendre maintenant l’acte de Jésus au Temple chassant les marchands et les changeurs (11,12-26). Le scribe devient audacieux. Ce docteur de la Loi ose ainsi commenter la parole de Jésus comme si celle-ci devenait maintenant la Parole même de Dieu. Il en livre publiquement, au sein même de ce Temple, son interprétation et rappelle, à la suite de Jésus, le caractère secondaire des sacrifices et holocaustes tout en s’appuyant sur la tradition de prophètes tel Osée à qui Dieu disait : C’est l’amour qui me plaît, non le sacrifice ; et la connaissance de Dieu, je la préfère aux holocaustes. (Os 6,6). La parole de ce scribe, prononcée publiquement au sein du Temple, ne manque pas de courage, ni de foi.

Mais les derniers mots reviennent à Jésus. Félicitant la sagacité de ce scribe, Jésus l’invite à faire un pas de plus. Comme si, à l’instar de l’homme riche, il lui manquait quelque chose ou plutôt quelqu’un. Certes le scribe n’est pas loin du royaume, il en est même tout proche, à quelques centimètres probablement. Ce royaume qui s’offre à lui se tient dans cette proximité de Jésus. Être de ce royaume revient à l’accueillir et le suivre pleinement de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force. Il lui suffirait d’ouvrir son intelligence et reconnaître en Jésus ce Fils de Dieu qui, par amour pour le Père et ses prochains, livrera toute sa vie.

Si le scribe met fin à la série des controverses au Temple, Jésus n’en a pas fini d’y enseigner. Reconnu maintenant pour sa sagacité, sa parole prend désormais publiquement plus d’autorité encore.