6 janvier 2025.
Commentaire RB 54
1 Sans la permission de l’abbé, un moine ne doit absolument rien recevoir de ses parents, de quelqu’un du dehors ou d’un autre moine : ni lettres, ni objets bénits, ni aucun autre petit cadeau. Il ne doit rien donner non plus.
2 Si ses parents lui envoient quelque chose, il ne prend pas la liberté de l’accepter avant d’en parler à l’abbé.
3 Et si l’abbé permet d’accepter ce cadeau, c’est encore à lui, l’abbé, de donner l’objet à qui il veut.
4 Et le frère à qui on l’a envoyé ne sera pas triste à cause de cela. Ainsi, il ne donne pas à l’esprit mauvais l’occasion de le faire tomber.
5 Si un moine prend la liberté de faire autrement, on le punira selon la Règle.
Après le chapitre 53 sur l’accueil des hôtes, Benoît nous parle des cadeaux faits aux moines. C’est logique ! Ce sont les hôtes qui sont parfois nos parents ou nos amis qui peuvent nous offrir des cadeaux.
La rupture radicale du moine avec sa famille, telle qu’elle apparaît dans le monachisme syriaque, perse, ou même dans le monachisme égyptien, ne se retrouve pas énoncée de la même manière dans le monachisme occidental qui n’a pas la même méfiance vis‑à‑vis des liens familiaux. Augustin se contente de veiller à ce que les différences d’origine sociale ne soient pas introduites dans le monastère par les visites, en particulier par les cadeaux donnés aux frères. Saint Benoît ne s’oppose pas aux visites des familles, mais il demeure intransigeant vis‑à‑vis des cadeaux (RB 54).
Il ne faudrait pas que les solidarités familiales mettent en péril le tissu communautaire ! Benoît, soucieux d’effacer les différences entre les moines issus de l’aristocratie romaine et les barbares, n’autorise pas d’autre hiérarchie en dehors de celle qui est fondée sur le rang de la profession monastique. C’est là aussi pour lui une manière d’exprimer la séparation avec la manière de vivre dans le monde.
Le monastère est devenu la famille du frère, le lieu de ses nouvelles attaches. Il reste certes un fils de sa famille naturelle et il demeure légitimement attaché à sa famille naturelle, mais il doit veiller à ce que ses liens familiaux ne soient pas un obstacle aux liens communautaires et à la mutuelle dépendance.
Pour Benoît, l’abbé est celui qui, dans la communauté, veille à ce que les différences d’origine ne soient pas un facteur de division mais plutôt de communion. S’il s’avère qu’un frère a reçu un cadeau dont il n’a pas besoin, il le remettra à l’abbé qui le donnera à un frère qui manque cruellement du nécessaire.
On retrouve ici la perspective très humaine de Pachôme qui prévoit que lorsque la famille d’un frère d’un milieu modeste apporte de la nourriture parfois moins bonne que celle que mangent les frères au réfectoire, le frère sera autorisé à la manger à la porterie avec ses parents et l’abbé partagera cette nourriture avec eux. En revanche, lorsqu’une famille plus aisée apporte une nourriture exceptionnelle, elle sera offerte aux frères de l’infirmerie – c’est-à-dire aux plus pauvres de la communauté – et le frère ira partager le repas avec ses frères malades ou anciens.
Dans la Règle, l’égalité n’est pas l’égalitarisme, chacun de nous en fonction de ses origines, mais aussi de ses activités dans la communauté, de son âge, de sa santé, n’a pas les mêmes besoins et il faut en tenir compte pour que la répartition des biens du monastère soit juste, c’est-à-dire ajustée à chacun. Le frère qui n’en a pas vraiment besoin doit se réjouir que ce qu’il a reçu de sa famille rende son frère heureux et qu’ainsi soient renforcés les liens communautaires.
C’est une grande humanité, une grande délicatesse qui prévaut dans les relations entre frères. Elle est la condition qui évite la jalousie entre frères. Benoît le sait et ce qui était vrai il y a quinze siècles demeure vrai aujourd’hui. Soyons attentifs à cette délicatesse mutuelle, à cette psychologie du cœur.
14 septembre