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22 novembre

22 novembre 2024.

Sainte Cécile

L’amour et le chant

Par le Cardinal Joseph Ratzinger

La Bible d’Israël connaissait deux motifs principaux de chanter devant Dieu : la détresse et la joie, l’oppression et le salut. La relation de l’homme à Dieu était probablement trop empreinte de crainte révérencielle pour permettre à quiconque de considérer ces chants comme des chants d’amour. Il est vrai que la confiance en Dieu qui marque profondément ces textes porte au fond d’elle-même l’amour ; mais il s’agit d’un amour farouche, caché précisément.

L’association de l’amour et du chant est apparue dans l’Ancien Testament de façon relativement étrange, par le biais du Cantique des cantiques, qui est en soi un recueil de chants d’amour tout à fait humains. Le choix de l’intégrer au Canon révèle qu’on en fit très tôt déjà une interprétation plus large. Si l’on a pu considérer ces poèmes d’amour, les plus beaux d’Israël, comme des paroles inspirées de l’Écriture sainte, c’est que l’on y voyait en filigrane le mystère d’amour de Dieu et d’Israël. Dans la langue des prophètes, le culte des dieux étrangers était assimilé à une « fornication », dans un sens très concret, puisque les rites de fertilité incluaient la prostitution sacrée. À l’inverse, l’élection d’Israël leur apparaît comme une histoire d’amour entre Dieu et son peuple, scellée par l’Alliance. C’est donc à travers le vocabulaire caractéristique de celle-ci – fiançailles, mariage, etc. – que l’amour humain a pu servir de métaphore aux actes de Dieu en Israël.

Jésus reprend cette tradition dans une de ses premières paraboles, où il se présente comme l’époux. Quand on lui demande pourquoi ses disciples ne jeûnent pas, contrairement à ceux de Jean et aux pharisiens, il répond : « Sied-il aux compagnons de l’époux de jeûner pendant que l’époux est avec eux ? Tant qu’ils ont l’époux avec eux, il ne leur sied pas de jeûner. Viendront des jours où l’époux leur sera enlevé ; alors ils jeûneront, en ce jour-là ». C’est là une prophétie de la Passion, mais aussi l’annonce des Noces, un thème récurrent dans les paraboles de Jésus. À travers la Passion, tout se dirige vers les Noces de l’Agneau, qui constituent le centre de l’Apocalypse. Comme ces Noces se présentent sous la forme d’une liturgie céleste, qui semble depuis toujours anticiper la liturgie terrestre, les chrétiens ont vu dans l’Eucharistie la venue de l’époux et l’anticipation des noces de Dieu avec l’homme. La communion sacramentelle correspond à l’union de l’homme et de la femme dans le mariage : de même qu’ils ne seront « qu’une seule chair », de même nous tous, dans la communion, devenons « un seul esprit », nous ne faisons qu’un avec Jésus. Le mystère nuptial de l’union de Dieu avec l’homme qu’annonçait l’Ancien Testament se réalise dans le sacrement du corps et du sang du Christ, de façon très concrète, à travers sa Passion.

Le chant de l’église sort des profondeurs de l’amour pour Dieu : « Chanter est le propre de celui qui aime », dit saint Augustin. Et ce chant a, lui aussi, une dimension trinitaire : parce que l’Esprit Saint, dans la Trinité, est l’amour, il est à l’origine du chant. Esprit du Christ, nous entraînant dans l’amour du Christ, il nous conduit au Père.

L’esprit de la liturgie, p. 114-116