11 novembre 2024.
Saint Martin
Martin et le Diable
Dans les Dialogues de Sulpice Sévère
Dans ses tentatives pour se jouer de Martin et de lui nuire par mille artifices, le diable se manifestait fréquemment de manière visible, sous les formes les plus diverses. Il se présentait à lui en métamorphosant ses traits, parfois en la figure de Jupiter, d’habitude en Mercure, souvent même en Vénus ou en Minerve. Toujours impavide, Martin se protégeait contre lui par le signe de la croix et le secours de la prière. Parfois on entendait les injures dont l’accablait une foule de démons aux clameurs terrifiantes ; mais sachant bien que toutes leurs accusations n’étaient que mensonges et verbiage, il ne s’en troublait pas.
Quelques-uns des frères attestaient même avoir entendu le démon lui reprocher, avec force clameurs, d’avoir reçu dans le monastère, après leur conversion, quelques frères qui jadis avaient perdu la grâce de leur baptême par diverses erreurs ; et le diable énumérait les fautes de chacun. Tenant tête au diable, Martin avait répondu fermement que les fautes anciennes étaient expiées par une meilleure conduite et que, par la miséricorde du Seigneur, ceux qui avaient cessé de pécher devaient être absous de leurs péchés. Le diable rétorquant qu’il ne convenait pas que les coupables soient pardonnés, et que pour une seule faute, aucune clémence ne pouvait être accordée par le Seigneur, Martin s’exclama : « Si toi-même, misérable, tu renonçais à poursuivre les hommes et si tu te repentais de tes méfaits, pour ma part, vraiment confiant dans le Seigneur Jésus-Christ, je t’assurerais de sa miséricorde ». Ah ! Que ce fut là présumer saintement de la tendresse du Seigneur ! Si Martin ne put s’arroger le pouvoir de le faire, il montra du moins son sentiment !
Un jour, il se fit précéder d’une lumière de pourpre dont il s’enveloppa lui-même pour se jouer plus aisément de Martin, grâce à la splendeur d’un éclat emprunté. Revêtu également d’un habit royal, ceint d’un diadème de pierres précieuses et d’or, des chaussures tissées d’or aux pieds, l’air serein, le visage souriant au point qu’il avait l’air de tout, sauf du diable, il apparut à Martin en prière dans sa cellule. Au premier abord, Martin en demeura stupéfait, et tous deux gardèrent longuement un profond silence ; puis le diable prit la parole le premier : « Martin, reconnais celui que tu vois : je suis le Christ, je vais descendre sur la terre, et j’ai tenu à me révéler d’abord à toi ». Comme Martin se taisait sans rien répondre à ces mots, le diable osa renouveler son impudente déclaration : « Martin, pourquoi hésites-tu ? Crois puisque tu vois ! Je suis le Christ. » Alors Martin à qui une révélation de l’Esprit donnait à entendre que c’était le diable, et non le Seigneur, lui répondit : « Non, le Seigneur Jésus n’a pas prédit qu’il viendrait vêtu de pourpre, ni avec un diadème éclatant ; pour ma part, je ne croirai à la venue du Christ que s’il se présente avec les habits et sous l’aspect qu’il avait lors de sa Passion et s’il porte clairement les marques de la Croix. » À ces mots, l’autre s’évanouit aussitôt comme une fumée. Il remplit la cellule d’une telle puanteur qu’il laissait ainsi la preuve indiscutable que c’était le diable.