11 novembre 2024.
Saint Martin
Je voudrais m’arrêter un instant sur l’épisode du manteau partagé par le jeune Martin, pas encore baptisé, pour habiller un pauvre.
Voici ce qu’écrit à ce sujet Sulpice Sévére : « L’homme rempli de Dieu comprit donc que ce pauvre lui était réservé, puisque les autres hommes ne lui accordaient aucune pitié » (Vita Martini 3, 1).
Il n’y a pas ici une mission consciente de Martin de venir au secours du pauvre, il y a une adhésion de l’homme de Dieu à la volonté de celui qu’il sert. On a là, affirmée, la manière dont s’articulent la vie monastique et le ministère chez l’Apôtre des Gaules. Bien plus qu’une juxtaposition, il y a une logique qui naît de l’obéissance à la volonté de Dieu, une nécessité de se soumettre à la Parole de Dieu.
Le geste de Martin de partager la chlamyde dont il était vêtu et qui était son seul vêtement, car – précise le texte – « il avait déjà sacrifié tout le reste pour des œuvres semblables », entraîne les réactions des spectateurs qui se moquent de Martin dont l’habillement est désormais mutilé ; ces railleries peuvent être rapprochées de celles des témoins de la crucifixion.
Martin est ici identifié au Christ. Dans le passage qui suit, par la référence évangélique, « J’étais nu et vous m’avez habillé » (Mt 25, 36), Sulpice identifie le pauvre au Christ. Dans un songe, Martin voit le Christ habillé de la moitié de la chlamyde dont il avait revêtu le pauvre et il l’entend proclamer : « Martin, qui n’est encore que catéchumène, m’a couvert de ce vêtement » (Vita Martini 3, 3).
Le Christ, dans l’iconographie de cette époque, était revêtu des insignes impériaux, en particulier du manteau de pourpre. À la fin de la Vita Martini, le diable revêtu des atours impériaux apparaît à Martin et prétend être le Christ ; Martin en prière est étonné, il garde le silence et le diable l’interroge :
« Martin, pourquoi hésites‑tu ? Crois, puisque tu vois ! Je suis le Christ. » (Vita Martini 3, 6)
Martin répond au diable :
« Non, le Seigneur Jésus n’a point prédit qu’il viendrait vêtu de pourpre, ni avec un diadème éclatant ; pour ma part, je ne croirai à la venue du Christ que s’il se présente avec les habits et sous l’aspect qu’il avait lors de sa Passion. » (Vita Martini 3, 7)
Le récit de Sulpice Sévère est comme enchâssé entre ces deux textes qui, nullement contradictoires, constituent en quelque sorte la clef de lecture du récit et de la vocation de Martin : en se dénudant pour habiller le pauvre d’Amiens, Martin imite le Christ sur la croix. La vision de sa gloire et de sa divinité lui apparaît alors sous les traits du pauvre qui a été transfiguré par le geste accompli. C’est le contexte de la passion qui éclaire ce passage et celui de la gloire de la croix. Vouloir reconnaître la gloire de Dieu sans passer par la croix est désormais une illusion. Martin est moine, il cherche le Christ et il est prêt à renoncer à tout pour le trouver. Sa vocation et son charisme seront de le chercher sur les routes des hommes. Il sera moine en cherchant son maître dans la solitude et dans son ministère. C’est le même homme que le goût de la prière attire dans la solitude et qui demeure jusqu’au dernier moment de sa vie, disponible pour le service des hommes, comme il le fut, jeune homme, pour le pauvre d’Amiens. Son goût pour la solitude occupe la première place, mais son ascèse sera apostolique.
26 novembre