Homélie messe obsèques du f. Emmanuel
Vendredi 12 mai 2017
Mt 11,25-30
Frères et sœurs, les lectures que nous venons d’entendre sont celles que le f. Emmanuel avait choisi en 2002 pour sa profession solennelle ; ces textes ont donc tout particulièrement résonné en son cœur et il les a entendus comme des Paroles personnelles que le Seigneur lui a adressées. Il m’a semblé qu’en reprenant ces textes, je pouvais le laisser nous parler de lui ou du moins le laisser nous dire ce que le Christ était pour lui, dans sa vie.
Je voudrais m’arrêter particulièrement sur l’Evangile.
Dans ces quelques versets, Jésus, nous confie sa louange, étonnons-nous avec Lui, émerveillons-nous avec Lui. Il nous réserve d’abord une première surprise : il est un Sauveur qui déploie sa puissance dans la faiblesse et sa force dans la douceur.
C’est d’ailleurs devant l’échec qu’il subit auprès des scribes et des docteurs de la Loi, et de l’accueil que lui réservent les petits et les pauvres, qu’il laisse monter de son cœur ce chant de louange. Tout autre que lui se laisserait démoraliser devant le refus de l’élite et la timide acceptation des gens simples. Jésus prie à partir de ses échecs et trouve le chemin de l’action de grâces au sein même des situations difficiles qu’il traverse. Comme Marie au Magnificat et Jésus dans cette scène de jubilation, nous sommes tous ces pauvres que Dieu préfère. Lorsque nous avons compris cela, lorsque le f. Emmanuel a eu compris cela, nous sommes prêts à entendre l’appel de Jésus : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le fardeau, et moi, je vous donnerai le repos ».
Le Dieu de Jésus prend le parti des pauvres, des petits et des faibles. Ce sont ceux qui se sentent fragiles et vulnérables, qui accueillent avec joie celui qui passe au milieu d’eux « en faisant le bien ».
Jésus offre un sens à nos vies humiliées. Il n’en supprime ni la fatigue, ni les larmes ni le sang, mais ce qu’il exige de nous, il nous donne le pouvoir de le lui offrir. Il accepte de rejoindre notre condition méprisée, pour la refaire par le dedans et tracer un sentier qui sera celui de la liberté des fils de Dieu.
Frères et sœurs, d’où vient la joie de Jésus, la joie des chrétiens, d’où venait la joie, le sourire, qui était toujours sur le visage du f. Emmanuel ?
Il me semble que l’image que prend Jésus, celle du joug, peut nous éclairer pour répondre à cette question. Cette image du joug, Jésus la prend dans la vie quotidienne. Le joug servait à atteler deux bêtes pour qu’elles puissent travailler en commun et avancer ensemble dans la même direction.
Jésus dit à chacun de nous, arrête de porter seul le poids de ta vie, c’est trop lourd pour toi ; viens, portons-le ensemble.Porter son fardeau avec Jésus, c’est devenir comme lui « doux et humble de cœur », c’est cela le chemin de la joie et la source de ce sourire qui éclairait le visage de notre frère.
Accepter que Jésus vienne nous rejoindre là où nous souffrons est la source de notre paix intérieure. Sûrs d’être aimés, jusque dans notre pauvreté, la louange vient alors habiter nos cœurs, et la louange c’est la vraie joie.
Frères et sœurs, cette page d’Evangile est tellement belle, qu’elle a été utilisée pour les professions monastiques en Orient pendant des siècles. Le f. Emmanuel ne le savait probablement pas lorsqu’il a choisi ce texte, mais il s’est situé intuitivement dans la lignée de milliers de moines qui ont fait la même expérience que lui, l’expérience d’avoir été choisis par Dieu gratuitement, par grâce, non pas parce qu’ils étaient les meilleurs, mais parce qu’ils avaient compris qu’ils étaient petits et pauvres et que la seule présence qui peut sauver le monde est celle de la présence aimante et miséricordieuse du Christ.
J’ai connu le f. Emmanuel en 1995, il avait déjà cette douceur, cette gentillesse, ce goût pour la prière et il donnait l’impression d’être un homme que Dieu avait protégé. Il était déjà dans la vie monastique un peu comme un poisson dans l’eau ; le f. Emmanuel me donnait à penser qu’il était né moine et qu’il n’avait jamais eu à quitter vraiment le monde car il offrait l’impression de n’y être jamais vraiment entré. C’est cela qui faisait de lui à la fois un homme doux et un cœur pur. Il y a longtemps que le f. Emmanuel a compris l’essentiel, que Dieu est Amour.
Il y a longtemps que le f. Emmanuel sait ou a eu l’intuition de cette parole de Jésus « Venez à moi vous tous qui peinez » et qu’il s’accrochait au Christ comme à un rocher. Son goût pour la prière, ses levers de nuit, sa fidélité aux Offices en témoignaient.
Il était à l’aise avec ceux qui, dans la vie, peinent sous le poids du fardeau ou avec ceux qui sont fragiles, les malades, les pauvres, les enfants, toutes ces personnes auxquelles est révélé ce qui est caché souvent aux bien-portants, aux riches et aux savants.
Pour le f. Emmanuel, attachement au Christ et communion aux frères allaient de pair, même service et même joug. Il ne se dérobait pas aux services fraternels et il aimait servir come il aimait prier, il le faisait à sa façon, consciencieusement, à son rythme, sans précipitation, mais avec acharnement ; il disait souvent : « moi, il me faut du temps, je ne suis pas rapide ». Quoi qu’il en soit, le travail était fait et bien fait. La manière dont il a tenu la caisse de la communauté pendant de longues années en témoigne.
Le frère Emmanuel était au milieu de nous un petit bout de ciel sur la terre ; il était dans le monde sans être du monde ; certaines de ses réflexions nous faisaient sourire, mais elles étaient parfois l’expression d’un idéal évangélique.
Depuis plusieurs années, le f. Emmanuel demandait une formation chrétienne pour approfondir sa foi, une formation adaptée à ses besoins et à ses aspirations spirituelles, ces deux ans à l’Ecole de la foi à Yamoussokro l’ont aidé et il en est revenu apaisé et fortifié. L’appel à l’ordination a aussi été un moment fort pour lui et il a goûté pleinement ces mois où il a exercé comme diacre dans la liturgie, il me disait il y a peu « çà me dépasse ».
L’ordination diaconale, où le Christ l’a configuré à lui comme Serviteur, a fait resplendir le mystère de la vie de notre frère. Avec son étole diaconale, notre frère manifeste la beauté de ce sacrement, il a été l’icône vivante du Christ qui lave les pieds de ses apôtres, l’icône vivante de Celui qui nous a dit que celui qui veut être le premier doit être le serviteur de tous, l’icône vivante du Christ qui se penche sur les petits et les pauvres de la terre pour leur manifester la tendresse du Père. Telle a été la vie de notre frère et le Christ a voulu qu’il entre ainsi dans l’éternité comme serviteur du Christ, humble serviteur des petits de la terre.
Frère Emmanuel, merci pour ce que tu as été au milieu de nous ! Merci pour ton amour de Dieu et ton amour des frères !
Ne nous oublie pas mon frère, continue de nous aider par ton intercession, continue de nous soutenir dans ce monastère que tu as tant aimé et dont tu as été une pierre solide qui nous a tous aidés à traverser bien des épreuves, et que tu étais si heureux de voir grandir !
Continue aussi de veiller sur tous ces jeunes que tu as aidés et qui se sentent un peu orphelins aujourd’hui, veille sur tes neveux et sur tes parents !
Nous ne t’oublierons pas et nous te demanderons souvent de nous éclairer et de nous aider.