Vendredi de la 10ème Semaine du Temps Ordinaire / Années Paires / Commentaire de Ph 3, 17 à 4, 9 / 14 juin 2024.
L’amour vrai est sans souci de retour. Si quelqu’un se montre fidèle et bon envers vous dans les choses dont vous avez besoin, ne manquez pas de vous montrer reconnaissante et de rendre service en retour, mais servez Dieu d’abord et remerciez-le de cette foi même qu’on vous témoigne par un plus grand amour. Pour la gratitude comme pour l’ingratitude, sachez vous en remettre à lui. Car il est la justice même et sait prendre comme il sait donner. Il est au sommet de la fruition et nous sommes dans l’abîme de la privation, vous et moi qui ne sommes pas encore devenues ce que nous sommes, qui n’avons pas saisi ce que nous avons, et qui tardons si loin encore de ce qui est à nous. Il nous faut, sans rien épargner, supporter que tout nous manque pour tout avoir, apprendre uniquement, insatiablement la vie parfaite de l’amour qui nous a appelées toutes deux à son œuvre.
Ah ! Chère enfant, d’abord et par-dessus tout, je vous en prie, gardez-vous de l’instabilité car nul défaut ne saurait si facilement vous séparer de Notre Seigneur. Mais ne soyez pas non plus attachée à votre vouloir propre, et si vous avez à souffrir des contrariétés, ne doutez jamais que le Grand Dieu tout entier dans la vie d’amour ne soit votre unique bien : ne prenez en échange aucune chose inférieure. Que ni la timidité ni l’obstination ne vous fasse négliger une action bonne. Si vous vous abandonnez à l’amour, vous atteindrez bientôt la plénitude de l’âge intérieur.
Rien ne doit nous priver du repos et de la joie d’aimer, sinon la conscience que nous ne suffisons pas à l’amour. Il ne faut jamais oublier que le beau service et la souffrance de l’exil ici-bas sont la condition de l’homme. Telle fut la part de Jésus, tant qu’il vécut sur la terre. On ne trouve écrit nulle part en toute sa vie qu’il ait eu recours au Père ou à la nature divine toute-puissante pour jouir et se reposer. Il ne s’est rien accordé, de la naissance à la mort, affrontant des labeurs toujours nouveaux. […]
Où est l’amour sont aussi labeurs et lourdes peines. Toute souffrance a cependant sa douceur : “Lorsqu’on aime la peine ne coûte pas.[1]” Vous devez vivre ici-bas dans les travaux et les douleurs de l’exil, en même temps que vous aimerez et jubilerez à l’intérieur avec le Dieu éternel dans le doux abandon. […]
Préférez la détresse loin du Bien-Aimé à tout repos en quelque bien inférieur à lui-même. De cela dépend votre perfection : fuir toute jouissance étrangère qui est au-dessous de l’Être divin, fuir toute souffrance étrangère qui n’est pas soufferte uniquement pour lui.
Lettre Spirituelle 6.
[1] Citation de saint Bernard