4ème Dimanche du Carême
Année C
Lc 15, 1-3.11-32
« Il ne fait aucun doute qu’il y a deux races de saints dans le ciel. Deux sortes de saints. Il y a ceux qui viennent, il y a ceux qui sortent des justes. Et il y a ceux qui sortent des pécheurs. Et c’est une entreprise difficile. C’est une entreprise impossible à l’homme. Que se de savoir quels sont les plus grands saints. Ils sont tellement grands les uns et les autres. Il y a ceux qui viennent des justes et il y a ceux qui viennent des pécheurs. Et çà se reconnaît. Heureusement qu’il n’y a aucune jalousie dans le ciel. Au contraire. Puisqu’il y a communion des saints. Heureusement qu’ils ne sont point jaloux les uns des autres. Mais tous ensemble au contraire ils sont liés comme les doigts de la main. Car tous ensemble ils passent tout leur temps toute leur sainte journée ensemble à comploter contre Dieu. Devant Dieu. Pour que pied à pied la Justice pas à pas cède le pas à la Miséricorde. » PEGUY.
Plusieurs Pères de l’Église latine ont vu derrière le fils cadet de l’Évangile, l’image du païen qui se convertit, on retrouve cette interprétation chez Augustin, Césaire, Maxime de Turin et d’autres.
Écoutons ici saint Augustin : « Le Fils cadet appelle un des serviteurs et lui demande ce qui se passe, il l’interroge en quelque solde pour savoir ce que signifient les fêtes qu’on célèbre dans cette Église, en dehors de laquelle il se trouve placé. Le serviteur de son père, lui répond : “Votre frère est revenu, et votre père a tué le veau gras, parce qu’il l’a retrouvé en bonne santé.” Votre frère était en effet aux extrémités de la terre. Mais ce qui augmente l’allégresse de ceux qui chantent au Seigneur un cantique nouveau, c’est que ses louanges viennent des extrémités du monde. »
Ce fils cadet revient de loin, de très loin, au sens propre comme au sens figuré.
Il a établi un contrat avec un étranger, avec un païen d’un pays lointain pour garder ses porcs. Il ne sait plus qui il est, il a perdu ses origines et ses repères…
« Étant rentré en lui-même » nous dit l’Évangile ; cette expression est à entendre dans le sens qu’il se parle à lui-même de sa situation et de sa perdition (moi, je péris), il veut retourner vers son père comme mercenaire. Il a perdu ses droits de fils et il n’est plus digne d’être appelé « fils ».
Le Père, lui, il lui redonne sa robe de fils, la plus belle robe ; l’anneau, l’emblème du pouvoir ; des chaussures pour lui permettre de fouler en maître les terres familiales. Le Père, le maintient dans sa condition de Fils.
Enfin, le Père qui accueille son fils est pris de compassion jusque dans ses entrailles, le verbe grec utilisé ici ne se retrouve que deux fois dans l’Évangile de Luc, ici, et à propos du bon samaritain, pris lui aussi de compassion devant le blessé au bord du chemin.
Il y a là une attitude qui ne s’explique pas, une vraie révélation du vrai visage de Dieu… Ce qui était caché depuis les origines, nous a été révélé !
Le fils aîné qui conçoit sa vie comme un labeur est déterminé par le devoir plus que par l’affection. On lui a dit « ton frère est là », mais il refuse d’appeler « frère » celui qui est revenu. Il n’est pas son frère. Il dit à celui qu’il ne cesse pas de servir et pour lequel il ne cesse pas de travailler : puisque tu veux être père, il est « ton fils qui voici » …
Le Père répond à son fils aîné par un vocatif affectueux : « mon fils » … « Tout ce qui est à moi est à toi », c’est-à-dire de quoi as-tu peur, tout ce qui est à moi est à toi, sens-toi libre, tu es dans ta maison !
Il appelle fils celui qui n’ose pas dire Père, il appelle « ton frère » celui que le fils aîné appelait « ton fils »
L’une des plus anciennes interprétations patristiques de ce texte est celle des Valentiniens qui voient derrière le fils aîné, l’image des anges, jaloux de l’homme à qui Dieu a fait miséricorde.
Cette interprétation est belle et nous fait prendre conscience du caractère « anormal » de la miséricorde de Dieu. Les autres créatures du cosmos se révoltent devant ce Dieu qui fait miséricorde à l’homme.
L’homme, poussière du cosmos, bénéficie des égards de Dieu d’une manière extraordinaire. Saint Thomas fera écho à cette interprétation lorsqu’il dira que les anges sont supérieurs aux hommes, mais que Dieu a voulu placer l’homme au-dessus des anges en raison de sa faiblesse. De fait, dans l’Évangile, lorsque le Christ se penche sur cet homme vulnérable, sur l’homme blessé par le péché, c’est toujours pour lui faire miséricorde. Et cette miséricorde devient alors l’occasion de faire la fête.
Il y a un élément commun qui unit entre elles les trois paraboles racontées successivement au chapitre 15 de Luc : la brebis perdue, la pièce d’argent perdue et le fils prodigue. Que disent le pasteur qui a retrouvé la brebis perdue et la femme qui a retrouvé sa pièce d’argent ? : « Réjouissez-vous avec moi ». Et que dit Jésus à la fin de chacune des trois paraboles ? : « Il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion ».
Le leitmotiv des trois paraboles est donc la joie de Dieu. (« Il y a de la joie chez les anges de Dieu » est une manière bien juive de dire qu’il y a de la joie « en Dieu »). Dans notre parabole, la joie déborde et devient fête. Ce père ne sait plus comment exprimer sa joie et qu’inventer : il ordonne d’aller chercher un riche vêtement, l’anneau avec le sceau de la famille, de tuer le veau gras, et dit à tout le monde : « Mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ».
Le fils aîné, lui, ne sait pas ce qu’est la fête car il n’a jamais été pardonné, il a besoin du pardon de son père à son frère cadet pour découvrir que son maître est son Père et que ce Père est amour, il a besoin d’entendre le pardon du Père pour découvrir lui aussi le sens de la joie et le sens de la fête.
Ces deux lectures se complètent. La fête de la famille de Dieu repose sur l’acceptation du pardon et sur l’accueil de celui qui revient de loin. Le pécheur est toujours comme un étranger, il entre toujours par la petite porte, il n’a pas ses papiers en règle. Il a besoin que le Père l’appelle par son nom de fils, car les humains que nous sommes, nous ne sommes jamais sûrs que nous sommes vraiment les enfants de Dieu, nous avons besoin d’être appelés ainsi par Dieu, pour le devenir.
La famille humaine, la communauté chrétienne a besoin que le Père pardonne au pécheur pour découvrir que Dieu est père et que nous sommes frères, non pas parce que nous sommes justes mais parce que nous sommes pardonnés. Il n’y a pas de joie possible sans pardon, il n’y a pas de fête possible sans pardon, il n’y a pas de fraternité possible sans pardon.
10 décembre