22 août 2024.
Jeudi de la 20ème semaine du Temps Ordinaire – Mt 22, 1-14
Changement de décor. De la vigne, le discours de Jésus se poursuit avec une dernière parabole au cadre nuptial. Il s’adresse toujours aux grands prêtres, aux anciens et maintenant aux pharisiens, outrés par ses propos au point de vouloir l’arrêter en entendant notamment l’affirmation de Jésus quant à la destination du Royaume offerte désormais aux nations païennes. C’est ce dernier point que cette parabole vient éclairer, entre autres.
Les paraboles de la vigne illustraient la mauvaise gestion actuelle du Temple et du peuple de Dieu, par les autorités religieuses et les pharisiens. La mort du fils du propriétaire (21,39) ne met pas fin à l’annonce du Royaume. Au contraire, cette parabole montre son accomplissement. Une noce est célébrée pour un fils. Dans la tradition biblique, le mariage évoque l’Alliance entre Dieu et son peuple, et plus particulièrement, le renouvellement de l’Alliance comme l’annonçait le prophète Isaïe en son temps.
Le vocabulaire de cette parabole reprend les mêmes termes que le prophète utilisait pour décrire le festin des réjouissances au Jour du jugement lorsque le Seigneur vient sauver son peuple. Un banquet qui exprime l’espérance en l’avènement de Dieu, son Royaume, son jugement salvateur et qui associe également les nations.
Le cadre nuptial de la parabole oriente donc le lecteur et les auditeurs vers ces noces eschatologiques. Et le lecteur de l’évangile de Matthieu se souviendra également que Jésus lui-même se désigna sous les traits de l’époux attendu : Mt 9, 15Jésus leur répondit : « Les invités de la noce pourraient-ils donc être en deuil pendant le temps où l’Époux est avec eux ?»
Le scénario ressemble à la parabole précédente des vignerons homicides : un maître envoie ses serviteurs en mission et ces derniers sont maltraités et tués par ceux à qui ils étaient envoyés. Ici la noce du fils prend une tournure dramatique et inconcevable. L’attitude des invités est insultante et méprisante à l’égard du maître et surtout du fils. Leur refus constitue un refus de participer à l’Alliance à laquelle tous sont pourtant appelés.
Derrière ceux qui s’y refusent, on peut deviner en ce contexte le champ des pharisiens (12,1-8), le commerce des sadducéens (21,1-17) et les persécutions des hérodiens (14,1-12). Mais cette opposition rejoint probablement les difficultés et les contestations subies par la communauté judéo-chrétienne au temps de Matthieu. Quoiqu’il en soit, la parabole souligne encore l’obstination des premiers invités qui ne répondent pas à l’appel. La noce pourrait donc ne pas avoir lieu.
La colère du roi s’abat sur ces invités, une scène digne d’un jugement apocalyptique. La sanction scelle un verdict définitif : l’obstination des premiers invités les exclut de tout salut. La mise en scène de l’évangéliste Matthieu pourrait faire écho au sac de Jérusalem qui, en l’an 70, mit fin au pouvoir des sadducéens et au Temple. Cependant la fonction d’une parabole n’est pas d’établir un jugement définitif mais d’en appeler à la conversion, au repentir.
Car il faut relire cette parabole à l’aune des précédentes. Les sanctions vont s’amplifiant depuis les fils appelés à la vigne, aux vignerons homicides dépossédés et maintenant aux invités à la noce condamnés. Mais ce crescendo ne doit pas faire oublier la permanence de l’envoi et de l’appel. Il souligne la fidélité de Dieu et la volonté de salut pour son peuple en dépit des oppositions. La noce aura lieu. L’appel se poursuit à la croisée des chemins, symbole d’une mission qui – sans renier les fils d’Israël – s’ouvre aux nations.
Tous sont invités, les mauvais comme les bons. L’accès à la noce royale ne dépend ni d’une appartenance au premier cercle, ni même d’une bonne moralité. L’expression les mauvais comme les bons recouvre ces deux acceptions : ceux qui observent bien la Loi comme ceux qui la rejettent tels des mauvais païens, ceux qui manifestent de bonnes dispositions éthiques comme ceux qui font le mal. Tous sont invités. Le critère de jugement étant encore la réponse positive à cet appel à participer aux noces de l’époux. Et la salle est remplie de ces inconnus d’hier, la noce semble même plus réussie au regard du nombre des invités.
La parabole aurait pu se terminer par la seule mention de la célébration festive des noces. Mais un dernier élément vient perturber la fête du roi. Sa colère paraît démesurée quant au reproche. La sanction est tout aussi violente, voire pire, que pour les premiers invités. Et cela juste pour une question de vêtement. L’affaire semble d’autant plus grave qu’elle concerne l’un des invités, que le roi de la parabole désigne par ‘Mon ami’ (en grec etairos, ἑταῖρος), le même vocable que les ouvriers mécontents de la première heure (20,1-16). L’expression désigne très souvent un proche ou du moins une personne qu’on pensait proche avant de se détourner pour mieux trahir. C’est d’ailleurs par ce terme que Jésus désignera Judas (26,50). L’ami est donc ici un membre de cette noce royale et ecclésiale : il fait partie des appelés mais sans rien changer en lui, voire même en nuisant à son bon déroulement.
Matthieu souligne encore une fois combien la participation à la noce demande un vrai repentir, une véritable conversion pour le Royaume : tout quitter pour suivre le Christ, prendre un chemin d’humilité, se faire serviteur des petits… Revêtir le vêtement des noces suppose ainsi un changement radical de vie, une métamorphose, pour le Christ. Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. L’élection correspond à cette communion demandée par le roi, avec l’époux et ses invités, tous aux habits nuptiaux. Ainsi la parabole ne peut se réduire à une accusation contre les responsables juifs, elle est aussi une mise en garde, pour tous, y compris au sein des communautés chrétiennes.
26 Août