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15 septembre 2024.

24ème dimanche du TO – Année B

Mc 8, 27-35

Cinq étapes

Tout semble limpide, mais rien ne résistera à la parole de Jésus. La confession de foi de Pierre demeure encore fragile comme le montrera la suite. L’ensemble de ce récit se déroule en cinq étapes : ce que les gens disent de Jésus (1), ce que Pierre et les disciples en disent (2). Puis, l’affirmation de Jésus sur lui-même (3) constituera la pointe du passage. Enfin, le récit reviendra sur Pierre (4), avant un discours s’adressant à la foule et aux disciples (5). La parole centrale de Jésus renversera les représentations que tous ont du christ.

Ce que les gens disent de Jésus (1)

C’est au long d’une marche, vers la ville païenne de Césarée de Philippe, que Marc situe cet épisode de la confession de foi de Pierre. C’est bien plus qu’une indication géographique. La foi se proclame en chemin, dans un cheminement, et sur un territoire moins réputé pour sa piété que la Judée. Césarée symbolise à la fois l’ancienne frontière nord du royaume d’Israël (1S 3,20) et la présence païenne. Israël et les nations sont concernés par cette confession de foi et surtout par cette révélation de Jésus à son propos.

Lorsque les disciples se font l’écho de la rumeur du peuple, les réponses sont identiques à celles de l’entourage d’Hérode (6,14-15) : Jésus serait Jean le baptiste, Élie ou l’un des prophètes. Nous ne reviendrons pas sur ces dénominations (cf. 6,14-29). La considération envers Jésus semble immuable. L’opinion publique n’a nullement évolué. Mais en reprenant les mêmes termes, Marc veut nous remémorer l’épisode d’Hérode Antipas. En cela, l’évocation des noms de Césarée (du nom de l’empereur romain César) et de Philippe (autre fils d’Hérode le Grand), rappelle également le pouvoir en place qui fut fatal au baptiste. Ce cadre a son importance. La confession de foi se risque dans un monde hostile.

Ce que Pierre et les disciples disent de Jésus (2)

Si la perception des gens envers Jésus apparaît inchangée, il n’en est pas de même pour les disciples et surtout pour Pierre (8,29). Il est en quelque sorte le porte-parole des apôtres et, surtout, la figure du disciple proche de Jésus. Pour mémoire, il est Simon, l’un des quatre pêcheurs (1,29) dont la maison de Capharnaüm (1,30 sv.) sera aussi celle de Jésus. Renommé Pierre et choisi pour être des Douze (3,16) envoyés en mission (6,7), il sera un des témoins privilégiés du retour à la vie de la fille de Jaïre (5,37).

Pour Pierre, pas de doute, Jésus est le Christ. Annoncé lors du premier verset de l’évangile, ce mot apparaît la première fois au cours du ministère de Jésus dans la bouche de l’apôtre. L’incompréhension des disciples est levée, provisoirement. Leurs cœurs endurcis et leur cécité de foi se sont laissés convertir. Leur question lors de la tempête (« Qui est-il donc pour que la mer et le vent lui obéissent ? » Lc 4,41) semble avoir trouvé une réponse, enfin !

Christ (du grec christos) ou messie (de l’hébreu mashiah) signifie celui a qui reçu l’onction. Tel le Grand Prêtre du Temple (Lv 4,5), le roi (1S 2,10) ou parfois le prophète (Ps 104/105,15), le messie est la personne consacrée par Dieu pour asseoir l’autorité divine sur Israël, sa justice et son règne. L’attente d’un Messie puissant, royal et prophétique, était forte en cette période troublée, sans véritable roi ni souveraineté. Cette espérance d’un christ de Dieu inaugurerait, enfin, un règne nouveau et durable selon la promesse divine faite à David (2S 7,16). Pierre reconnaît donc en Jésus, celui que Dieu envoie pour la délivrance d’Israël, délivrance spirituelle pour une vraie conversion du peuple, mais aussi délivrance temporelle pour restaurer cet espace géographique vital en vue de l’alliance entre Dieu et Israël.

Ce que Jésus dit de lui (3) 

Une fois encore, Jésus oblige les disciples au silence. Si le terme de Christ convient, sa définition doit en être précisée. Ainsi Jésus ne reprend pas le titre messianique, préférant celui de Fils de l’homme. Les deux sont synonymes, mais en insistant sur Fils de l’homme, il reprend la figure que décrit Daniel (Dn 7,13-14) à l’heure du combat ultime entre l’envoyé de Dieu et les forces du mal. Le Fils de l’homme manifeste la victoire universelle, ultime et définitive de Dieu sur le Mal et son jugement sur le monde. Le Messie est le Fils de l’homme, le juge des temps derniers et sa mission n’est pas circonscrite à Israël.

Mais ce titre de Fils de l’homme nécessite également une redéfinition. Jésus annonce ici, pour la première fois, sa Passion et sa mort. Traditionnellement associée au thème du combat et de la victoire, la figure messianique subit ici la souffrance, le rejet des autorités d’Israël et sa mort. C’est une révolution vis-à-vis de la conception traditionnelle de l’idéal messianique. L’allusion à sa Résurrection, même comprise en termes de victoire, n’enlève rien à ce non-sens.

Ce que Pierre refuse d’accepter (4)

La réaction de Pierre révèle cette opposition apparente entre l’affirmation de Jésus concernant son identité et l’annonce de sa Passion. Le Christ et Fils de l’homme, qui bénéficie de la puissance divine, de ses armées, de la force de son bras, ne peut absolument pas connaître le rejet et la mort. Les paroles de Jésus vont à l’encontre de l’idée que tous ont du Messie. L’attitude de Pierre est éclairante. Il prend Jésus à part et le réprimande : deux actions, en Marc, attribuées par ailleurs à Jésus. Pierre se fait à cet instant le maître du Messie car Jésus n’entre pas dans son schéma de pensée dans lequel le Messie ne peut vivre l’échec et mourir.

Jésus ne lui répond pas immédiatement. Il se retourne vers les autres disciples : une manière de remettre Pierre à sa place. Il devrait être là, parmi les disciples du Christ. Pierre a encore du chemin à faire, beaucoup de retournements et de conversions. Par ses propos, il s’est placé du côté de Satan. En refusant que Jésus mène sa mission jusqu’à la croix, Pierre se met dans la situation de l’ennemi au projet de Dieu. Le triste désert apparent de la croix sera pourtant bien une victoire sur le Satan (1,13).

La mort du Messie ne doit pas être considérée comme un échec. Ce dessein divin diffère de la pensée des hommes évoquée quelques versets plus haut par ce monde du pouvoir et du meurtre, hostile à l’Évangile, tels Hérode et Hérodiade. La logique de Dieu est différente. Que le méchant abandonne son chemin et l’homme criminel ses pensées, qu’il revienne au Seigneur qui aura pitié de lui, à notre Dieu car il est riche en pardon. Car vos pensées ne sont pas mes pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, oracle du Seigneur (Is 55,8-9).

Ce que Pierre, les disciples et la foule sont invités à vivre (5)

Beaucoup voudraient gagner le monde entier : être adulé, respecté, riche, libre et puissant. Cette recherche des honneurs marque le premier siècle (déjà). Il visait à se distinguer du monde des esclaves et des laborieux. Suivre Jésus, c’est au contraire prendre le chemin du projet de Dieu et laisser tomber les lauriers. Se renier soi-même, équivaut à abandonner toute prétention personnelle au pouvoir et à la domination qui ne mène qu’à la perte. Et les premiers chrétiens, à l’époque de Marc, en ont fait la brutale expérience en vivant leur foi jusqu’à subir la croix à cause de l’Évangile.

Mais, il ne s’agit pas de dolorisme. Venir à la suite de Jésus est un chemin d’amitié, de fidélité, d’alliance … même au milieu des difficultés et des persécutions. Le gain, le salut et les véritables honneurs se situent dans cette suivance du Messie qui ouvre le chemin et au véritable bonheur.

Conclusion : La vraie contemplation du règne

La condition de disciple va de pair, non avec une éthique mais, en premier lieu, avec l’attachement sans faille à la personne du Messie et à ses paroles sur le règne. Les termes bibliques de génération adultère et pécheresse renvoient à l’idolâtrie et au refus de la révélation divine (Os 3,1). Idolâtrie que Dieu finira par juger. Cependant les premiers accusés appelés à la barre ne sont pas ici les païens idolâtres mais les croyants qui refusent le mystère de la croix. Par crainte ou par tentation de domination et de conquête, la faiblesse apparente de la croix leur fait honte. Et pourtant telle est la destination, ouvertement affirmée, de Jésus, Fils de l’homme et fils du Père.

Cet avènement du Messie et du règne du Père n’est pas décrit en termes d’avenir mais de présent. Le choix de suivre Jésus est celui de l’aujourd’hui de la foi. Et sur la croix esquissée, dont certains personnages seront témoins, se superposent maintenant la Gloire de Dieu, son règne, ses anges, sa puissance, … contemplation qui appelle à une conversion.