10 février 2025.
Sainte Scholastique
Méditation du Père Lassus
Virginité et fécondité
Croyez-vous que le sens de la virginité, vécue au désert où nous a conduits la fascination de Dieu, n’est pas une invitation expresse du Christ à “être avec lui”, dans toute la force de cette expression ? Pourquoi la moniale aurait-elle renoncé à une communauté de vie et d’amour avec quelqu’un, à la fondation d’un foyer, à la joie et à la gloire de la maternité ? Certainement pas pour une plus grande liberté d’allure et une consécration aux besoins des autres, puisqu’elle se veut inutile sur la terre pour l’aménagement de la Cité. Pas uniquement non plus pour dilater en grand la pupille de son œil, ni enfin pour être dans ce monde prophétie de la nouvelle terre.
Je pense plutôt que le Verbe de Dieu a saisi la Vierge Marie en plein cœur de son amour humain pour en faire sa virginale mère et peu à peu, comme disent les Pères grecs, sa virginale Épouse, la nouvelle Ève, qui se tiendra debout près de la croix comme une complice, regardant avec lui, et avec lui réconciliant le monde avec Dieu. De la même manière le Christ saisit-il ces femmes, faites comme toutes les femmes de la terre pour la maternité, afin que, devenant avec lui un seul esprit et un seul cœur, elles soient capables de se tenir debout, elles aussi, près de la croix, “complétant en perfection dans leur chair ce qui manque à la Passion du Christ pour l’Église”.
On m’objectera peut-être : n’est-ce pas le cas de quiconque voue au Christ sa virginité ? Oui, sans doute ; mais aujourd’hui, je sens plus fort que jamais que la moniale c’est la femme poussée au désert dont parle l’Apocalypse, portant dans ses entrailles le monde écartelé, cet enfant difforme, qu’elle mettra au monde de Dieu, qu’elle transfigurera à travers sa solitude, sa souffrance et son abjection d’amour.
Ceci n’est pas nécessairement réalisé dès l’entrée au monastère. Marie elle-même ne connut que petit à petit son “nom” ; et cela à partir du jour où, à Jérusalem, elle vit que son enfant regardait vers ailleurs, et plus encore quand, à Cana, elle mesura la distance intérieure qui la séparait encore de lui parce que “son heure n’était pas encore venue” : “Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi” ?
De même, c’est à force de suivre et d’imiter le Christ, maître et âme du désert, que la moniale voit sa solitude se changer en une immense présence : celle de l’Agneau qui porte et emporte le péché du monde, celle de l’humanité rachetée par son sang, dont elle se sait aujourd’hui porteuse et responsable. Le désert se trouve alors habité intérieurement par le drame spirituel des hommes, par les visages des incroyants et des pécheurs et des saints. À tous et à chacun, la moniale se sent envoyée non pour leur parler, non pour se montrer à eux, mais pour les enfanter dans la douleur, à la Beauté de Dieu.