Skip to content Skip to sidebar Skip to footer

Solennité des saints Pierre et Paul (Mt 16, 13-19)

29 juin 2024.

Dans l’Évangile que nous venons d’entendre, Jésus pose la question à ses apôtres : « Au dire des gens, qui suis-je ? ».

Puis Jésus se tourne vers ses disciples et il se tourne vers tous sans faire de différence entre eux, il leur retourne la question : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? ». Pierre répond seul à la question de Jésus. Il ne répond pas comme l’un des Douze qui trouverait par hasard la bonne réponse. Il répond comme celui qui sait : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ». Il répond pour tous. On ne perçoit aucun effort dans sa réponse. Il n’a pas besoin de réfléchir.

Il est possible que pour certains parmi les Douze, les yeux s’ouvrent et qu’ils pensent alors : « je n’aurai pas trouvé cette formule-là ; ah, c’est bien ainsi, maintenant je comprends mieux ». Mais aucun ne fait connaître son ignorance antérieure ou sa légère déviation par rapport à la direction donnée, car quand Pierre donne la réponse, ils reprennent cette réponse comme la leur et elle devient leur réponse personnelle.

Sans doute cela est-il déjà arrivé à nombre d’entre nous, après avoir écouté une réflexion, une homélie, après avoir lu un texte ou après avoir écouté un frère, de percevoir tout à coup une lumière, une certitude intérieure :

« Cette parole-là dépasse largement celui qui l’a prononcé, elle vient de plus loin que lui, et elle est la Parole que Dieu m’adresse aujourd’hui ».

De même, il arrive bien souvent que nous soyons surpris par le retentissement de notre propre parole dans le cœur de notre interlocuteur et nous savons alors que, malgré notre pauvreté, Dieu a voulu se servir de nous pour consoler, pour apaiser, parfois même pour sauver, ce frère.

La réponse de Jésus à Pierre est sans équivoque : Ta parole, Pierre, ne vient pas de toi, elle vient du Père qui te l’as révélée.

C’est cela le mystère de l’Église et c’est la grande question que Jésus ce matin pose à chacun de nous : acceptes-tu que je passe par toi, par ton cœur, par tes mains, par ta pensée, mais aussi par ta pauvreté, par ta fragilité psychologique, affective, physique, mentale, culturelle pour faire aujourd’hui, pour les hommes d’aujourd’hui, ce que j’ai fait hier sur les routes de Galilée, c’est-à-dire mon travail de Messie : consoler les hommes et évangéliser les pauvres ?

Comment est-ce possible que le Christ passe par moi ? Il faut du temps pour apprendre à faire confiance. – « Seigneur, éloigne-toi de moi je suis un homme pécheur » dit Pierre à Jésus lors de leur première rencontre (dans l’Évangile de Luc) ; Paul lui-même ne cache pas sa vie passée de persécuteur des chrétiens, sa propre faiblesse, son écharde dans la chair. Il avait un tempérament fougueux, et n’était pas de commerce facile (Marc en sait quelque chose).

L’Église n’est pas le Christ, St Pierre ou St Paul ne sont pas le Christ, ils sont le Sacrement du Christ, le signe visible de sa réalité invisible, mais le Christ a voulu que ce signe soit pauvre, que la puissance de Dieu se déploie dans la faiblesse, que chacun de nous soit le signe de l’amour de Dieu manifesté sur la croix, que l’Église resplendisse de cette extraordinaire bonne nouvelle : Dieu aime les pauvres. Je vous invite à ce propos à une méditation sur le Credo et sur le Mystère de l’Église.

Chaque dimanche, dans le Credo, et nous allons le faire dans quelques minutes, nous disons « Je crois en l’Église », après avoir dit, « Je crois en Dieu Père, Fils et Esprit », comme si l’Église était la 4ème Personne de la Trinité.

Le petit catéchisme du Concile de Trente, dans son commentaire du Symbole de Foi, était pourtant déjà catégorique lorsqu’il écrivait :

« Il est nécessaire de croire qu’il existe une Église une, sainte, catholique et apostolique. Pour ce qui est des trois Personnes de la Trinité, nous y croyons de telle façon que nous plaçons en elles notre foi. Maintenant, changeant notre manière de dire, nous professons croire la sainte Église, et non pas en la sainte Église (…) Nous conservons ainsi la distinction nécessaire entre Créateur et créature ».

Nous croyons en Dieu Père dans l’Église ; nous croyons en Dieu Fils dans l’Église ; nous croyons en Dieu Esprit dans l’Église. Nous croyons que l’Église existe comme le lieu où Dieu, Père, Fils et Esprit, en qui nous croyons, produit ses fruits qui se nomment : communion des saints, rémission des péchés, résurrection et vie éternelle. L’Église est ainsi la première œuvre du Père, du Fils et de l’Esprit. Une œuvre de communion du Dieu communion, du Dieu Tri(u)nité.

Croire l’Église, c’est aussi pour chacun de nous croire que c’est par l’Église que nous découvrirons la Trinité, c’est par la médiation de nos frères que nous découvrons l’œuvre en nous du Père, du Fils et de l’Esprit.

Parce que Dieu s’est fait homme en Jésus-Christ, il existe une solidarité entre lui et nous. Il est auprès du Père notre représentant et il l’est avec une telle force que nous sommes en lui. Désormais, Jésus est impensable sans sa Communauté de salut, sans l’Église qui est son Corps et, dans ce Corps, il aime choisir pour se manifester, pour se donner, ceux qui sont les plus pauvres.

Il existe un vieux récit qui a contribué à façonner l’Église de France, la Vie de saint Martin de Tours, moine et apôtre de la Gaule au IVe siècle. Son biographe, Sulpice Sévère, a placé au début et à la fin de la vie de saint Martin, le récit d’une apparition.

Au début de l’ouvrage, à Amiens, Martin partage son manteau avec un pauvre qui a froid et qui est dénudé et que tous les passants dédaignent de secourir.

Sulpice Sévère écrit : « L’homme rempli de Dieu comprit que ce pauvre lui était réservé, puisque les autres ne lui accordaient aucune pitié » (3,1).

La nuit suivante, dans un songe, Martin voit le Christ habillé de la moitié du manteau dont il avait revêtu le pauvre et il l’entend proclamer : « Martin, qui n’est encore que catéchumène, m’a couvert de ce vêtement » (3,3). Voilà pour le début de la Vie de Martin.

À la fin, c’est le diable qui apparaît à Martin et qui prétend être le Christ, il est alors revêtu des atours impériaux. Martin en prière est étonné, il garde le silence et le diable l’interroge : « Martin, pourquoi hésites-tu ? Crois, puisque tu vois ! Je suis le Christ » (3,6). Martin répond au diable : « Non, le Seigneur Jésus ne viendra pas, vêtu de pourpre, ni avec un diadème éclatant ; pour ma part, je ne croirai à la venue du Christ que s’il se présente avec les habits des pauvres et sous l’aspect qu’il avait lors de sa Passion » (3,7).

Que conclure de ce vieux texte ?

En se dénudant pour habiller le pauvre d’Amiens, Martin a habillé le Christ nu sur la croix. La vision de sa gloire et de sa divinité lui apparaît alors sous les traits du pauvre qui a été transfiguré par le geste accompli.

Vouloir reconnaître la gloire de Dieu sans passer par la pauvreté de la croix est désormais une illusion.

Vouloir reconnaître le Christ, vouloir le chercher et vouloir l’aimer sans passer par la médiation des hommes, par celles de Paul, de Jean-Paul, de Benoît, de François, à cause de leurs mauvais caractères, de leurs pauvretés, de leurs limites, c’est une illusion et même une illusion du diable nous dit Martin.

De la même manière, vouloir chercher le Christ sans accepter qu’il se serve de moi malgré ma très grande misère et pauvreté, c’est priver le Christ d’une occasion de rendre gloire au Père : « Père, je te bénis car tu as caché cela aux sages et aux savants et tu l’as révélé aux tout-petits ».