3 janvier 2025.
Vendredi du Temps de Noël avant l’Epiphanie
Méditation de Hans Urs von Balthasar
Une source se mit à couler
Le Christ vint dans le monde, muni de la sagesse et de la science du Père, pourvu de tous les trésors de l’abîme, expression de l’Inexprimable. Il est au commencement le Verbe. En ouvrant la bouche devant le monde, en se mettant à parler du Père, il commença aussi à s’exprimer lui-même, car il est le Verbe vivant, celui qui parle et celui qui est parole à la fois. Il vint dans le monde pour se manifester comme la révélation du Père, et dans cette révélation il mit toute son activité, tout le sens de son être, il ne voulut être rien d’autre que miroir et reflet du Père. Par là même sa volonté ne faisait qu’un avec la volonté du Père, et cette unité était l’Esprit-Saint. (…)
Par cette parole le Verbe de Dieu se manifestait comme amour. Car il aime, celui qui se dévoile lui-même pour se communiquer ; et c’est ce que fit Dieu par son Verbe. C’est l’acte même de parler qui fut le geste d’amour de Dieu, et par conséquent aussi le contenu de la parole. Ainsi le mouvement d’expression n’était-il rien d’autre que le contenu exprimé, car le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Une source se mit à couler et c’est par là même qu’elle commença d’exister. Il y avait assez de citernes desséchées dans le monde, mais le miracle inouï se produisit : une eau qui coule et qui se répand elle-même. Remplie à déborder, la coupe divine avait fait son apparition, et on aurait pu la croire pleine de colère ; mais lorsque menace l’ouragan divin, le nuage de la colère laisse échapper un frémissement d’amour.
Le Verbe vint d’en haut. Il vint de la plénitude du Père. En lui il n’y avait aucune aspiration, car il était lui-même la plénitude. En lui, étaient la lumière et la vie, et un amour pur de toute convoitise. Et l’amour eut pitié de ce qui était vide et il lui plut de le remplir. Mais c’était l’essence de ce vide de tendre lui-même vers la plénitude, c’était un vide menaçant, une mâchoire armée de dents. La Lumière vint dans les ténèbres, mais les ténèbres n’avaient pas d’yeux pour voir la lumière, elles n’avaient qu’une gueule.
L’homme veut s’élever, le Verbe veut s’abaisser. Ainsi vont-ils tous deux se rencontrer à mi-chemin, au centre, à la place du Médiateur. Mais ils se croiseront comme se croisent des épées : car leurs volontés sont opposées. S’ils devaient se rencontrer, quel chemin devaient-ils prendre ? Les ténèbres devaient s’illuminer, l’aspiration aveugle devait se résoudre en amour clairvoyant, l’instinct de possession et la volonté d’épanouissement de soi-même devaient se purifier pour devenir la folle sagesse qui s’épanche sans mesure. Au lieu de poursuivre l’ascension téméraire vers le Père sans passer par le Verbe, l’homme reçut une nouvelle consigne : avec le Verbe faire demi-tour, redescendre les marches déjà gravies, trouver Dieu sur la route qui va vers le monde, et ne prendre pour aller au Père d’autre voie que celle du Fils
Le cœur du monde, p. 32-34.