28 octobre 2024.
Saints Simon et Jude (fête)
Le temps de l’Église
Par Henri-Irénée Marroux
La première note du temps de l’Église est d’être le temps de la mission. C’est le temps de la Nouvelle Alliance, l’année de grâces du Seigneur annoncée par le prophète Isaïe. Le commencement de ce texte a dicté une belle page à saint Irénée : tout le temps qui s’écoule entre les deux Parousies, les deux avènements du Seigneur, est celui où Dieu fait mûrir les fruits de l’histoire que sont les saints. C’est le temps de la patience de Dieu, de la miséricorde de Dieu, le délai accordé aux hommes pour qu’ils puissent profiter du salut offert, ce salut qui en lui-même est déjà acquis mais qui reste à être approprié par les hommes. C’est le temps où Dieu s’acquiert un peuple choisi, le temps de la « convocation », le temps de l’appel.
Oui, le temps de l’Église c’est le temps nécessaire au rassemblement de tous les enfants de Dieu ou, pour reprendre l’image qu’a joliment développée saint Jean Chrysostome dans un de ses sermons, c’est le temps nécessaire pour que la famille des enfants de Dieu vienne s’asseoir au complet à la table somptueuse et splendide du père de famille. Et il est facile de voir ce qui en résulte pratiquement pour nous, car enfin, Dieu qui peut tout et n’a besoin de personne, nous demande pourtant d’être ses coopérateurs, de travailler avec lui et pour lui. Le temps de l’Église apparaît donc en première instance pour nous comme le temps du « kérygme », de la proclamation de la Bonne Nouvelle. Qui peut dès lors, l’ayant reçue, en rester là sans éprouver le besoin de la crier aussitôt sur les toits, de la proclamer à la face des hommes pour que ce bonheur soit aussi celui de nos frères ?
C’est donc le temps de l’évangélisation, de la mission au sens le plus immédiat du terme ; n’est-ce pas sur cet ordre solennel que le Seigneur nous quitte, aux derniers versets de l’Évangile de Matthieu : « Allez, enseignez toutes les nations » ? Il y aurait beaucoup à dire sur la bonne conscience du chrétien moyen qui se repose pour accomplir ce précepte sur les organismes spécialisés et les techniciens professionnels de la « mission », comme si la propagation de la foi n’était pas pour chacun de nous un devoir immédiat, quotidien, universel, et dont on ne peut transférer la responsabilité à autrui.
Ce n’est pas ainsi que l’entendaient nos pères selon la foi : l’Église est essentiellement missionnaire. Si l’on en veut un témoignage, je citerai celui d’Eusèbe de Césarée qui, dans son Histoire ecclésiastique écrit, à propos du début du deuxième siècle : « En ce temps-là, beaucoup parmi les chrétiens sentaient leur âme frappée par le Verbe divin d’un violent amour pour la perfection. Ils commençaient par accomplir le conseil du Sauveur en distribuant leurs biens aux pauvres ; puis quittant leur patrie, ils allaient remplir la mission d’évangélistes, avec l’ambition de prêcher la parole de la foi à ceux qui n’en avaient encore rien entendu, et de transmettre les livres des Évangiles divins. Ils se contentaient de poser les fondements de la foi chez les peuples étrangers, puis ils établissaient d’autres pasteurs et leur confiaient le soin de cultiver ceux qu’ils venaient d’amener à croire. Après quoi, ils partaient de nouveau vers d’autres pays et d’autres nations avec la grâce et le secours de Dieu. »
Théologie de l’histoire, Éditions du Seuil, Paris 1968, p. 95-97.