24 novembre 2024.
Solennité du Christ-Roi – Année B
(34ème dimanche du Temps Ordinaire)
Jn 18, 34b-37
« Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix ».
Cette phrase finale du texte que nous venons de lire résume tout l’enseignement de l’Évangile de saint Jean sur la Vérité. Trop facilement nous nous efforçons d’acquérir la vérité, et surtout nous prétendons posséder la vérité.
Or, nul ne possède la vérité. Ce qui importe c’est au contraire, d’être possédé par la Vérité, d’appartenir à la Vérité. Le Père s’est dit tout entier dans son Fils. Celui-ci est la Vérité, et le Père a tout remis entre ses mains. Si nous appartenons au Christ, nous sommes sans cesse à l’écoute de sa voix et sa Parole nous habite et nous transforme.
Prétendre posséder la vérité, vouloir que la Vérité nous appartienne, c’est vouloir renverser les rôles. C’est se substituer à Dieu. C’est refuser sa condition de créature ; et les conséquences sont toujours funestes.
Lorsque deux personnes ou toute une communauté se mettent ensemble à l’écoute de la vérité, une union profonde se crée entre elles. Lorsqu’au contraire nous prétendons posséder la vérité et voulons l’imposer aux autres, nous brisons l’unité qui existe déjà. Il nous est sans doute facile de le constater dans les événements de notre vie quotidienne. Nous pouvons le constater d’une façon encore plus frappante, dans les conflits qui affligent présentement l’humanité et qui font tant de victimes innocentes. Lorsqu’un groupe humain prétend avoir la vérité et le droit, elle détruit, quelle que soit sa force ou sa faiblesse.
À l’époque de Jésus la situation politique d’Israël était très complexe. Le peuple d’Israël était soumis, politiquement, au pouvoir romain, que représentait Pilate. Il attendait toujours un Messie qui rétablirait le royaume terrestre de David et chasserait l’oppresseur païen. Si Jésus s’était présenté comme ce Messie attendu, le peuple, et probablement aussi les chefs religieux l’auraient suivi. Mais il annonçait le « Règne de Dieu », un royaume d’une toute autre nature. Aussi les chefs du peuple qui croyaient posséder la vérité, le livrèrent au pouvoir païen, utilisant pour le faire condamner l’argument pervers qu’il avait voulu s’opposer à César en se déclarant le roi des Juifs.
La rencontre entre Pilate et Jésus est racontée par Jean avec une finesse exquise. Nous sommes en présence de deux hommes aussi différents l’un de l’autre que possible. L’un possède le pouvoir mais sent que son autorité est sans cesse menacée. L’autre est impuissant, mais parle avec autorité. Pilate est un homme angoissé, inquiet, qui a tout à perdre et qui a peur de le perdre. C’est cette inquiétude qu’il révèle dans sa question : « Es-tu le roi des Juifs ? » Il ne dit pas « roi d’Israël », ce qui ne voudrait rien dire pour lui. Il dit « roi des Juifs », ce qui signifie un opposant qui pourrait le renverser. Il veut savoir pourquoi on le lui a livré : « Qu’as-tu fait ? » demande-t-il à Jésus, pour voir si celui-ci pose un réel danger à son pouvoir.
Jésus est, au contraire, un homme libre – un homme libre, parce qu’il n’a rien à perdre, car il a déjà tout perdu, ou plus précisément, il a tout donné. Sa réponse tranquille et mystérieuse agace Pilate qui lui dit, avec énervement : « Alors, tu es roi ? ». Toujours aussi impassible, Jésus répond : « C’est toi qui le dis… »
On voit à quel point la vie et la mort du Christ ont été imbriquées dans l’histoire humaine, qui est, de par la nature sociale de l’homme, une histoire politique. Ainsi en fut-il d’ailleurs pour la plupart des martyrs tout au long de l’histoire. Ils sont morts parce que la Vérité qui les possédait gênait des personnes qui croyaient posséder la vérité.
Le règne du Christ sur tout l’univers (objet de la fête d’aujourd’hui) demeure une fin qui sera pleinement atteinte seulement à la Parousie telle qu’entrevue par Jean dans son Apocalypse. D’ici là une profonde conversion des structures de la société tout autant que de chacun de nos cœurs est requise. En cette fin de l’Année liturgique, engageons-nous encore une fois, chacun selon notre vocation propre, dans cette tâche de soumission à la Vérité qui nous rendra libres.
10 Août