26 janvier 2025.
3ème dimanche du Temps Ordinaire (C)
Lc 1, 1-4 ; 4, 14-21
Il est rare que dans la liturgie nous entendions des textes nous parler justement de… liturgie ! C’est le cas aujourd’hui, et nous pouvons profiter de cette opportunité. La première lecture, tirée du livre de Néhémie, nous montre le peuple d’Israël qui s’assemble pour venir écouter le scribe Esdras, sur la place située devant la Porte des eaux ; celui-ci lit un passage de la loi de Moïse, en hébreu. Comme cette langue n’était déjà plus parlée par le peuple, mais utilisée uniquement dans le cadre de la liturgie (un peu comme notre latin d’il y a 50 ans), il fallait une traduction en araméen pour que tout le monde comprenne. Cette traduction, nous dit le texte, est donnée par les lévites, qui en font également un commentaire qu’on appelle le Targum, c’est-à-dire « l’interprétation ».
Dans l’évangile, nous avons la même chose avec Jésus qui lit le passage d’Isaïe. Après avoir refermé le livre, son homélie est très courte, il dit simplement ceci : Cette parole de l’Ecriture, que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. Le Christ est lui-même la Parole de Dieu incarnée. Il n’a pas besoin de faire beaucoup de commentaires, car ce qu’il aura à nous dire, c’est par sa vie même qu’il le fera, par sa Passion et sa Résurrection. Comme dit l’apôtre Pierre : Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces (1 P 2,21).
Nous qui sommes des hommes, nous avons besoin de plus de mots que Jésus pour expliquer les choses. La vie des ministres de l’évangile n’est pas toujours un modèle, et les actes ne suivent pas toujours les paroles. Mais dans la liturgie (qui est « l’œuvre du peuple »), nous croyons que c’est le Christ qui parle, avec les pauvres mots du diacre ou du prêtre, pour actualiser l’évangile, et le faire vivre, aujourd’hui. Alors, voyons ce que nous disent les textes, ici et maintenant.
Nous savons que la fonction de la lecture est de lier les mots et les textes entre eux. Mais n’est-elle pas aussi de délier, de lire entre les lignes, de prêter attention à l’espace vide entre les lettres et les mots ? Cette fonction de délier est présente dans les passages en question. Dans la première lecture, Néhémie, Esdras et les lévites disent au peuple qu’il ne faut pas pleurer ni prendre le deuil, car ce jour est consacré au Seigneur. Il ne faut pas s’affliger, mais au contraire être dans la joie, car Dieu est présent, avec eux. Pour le peuple d’Israël comme pour nous, se réjouir passe par quelque chose de très concret : manger des viandes savoureuses, et boire des boissons aromatisées (ou « excellentes », selon d’autres traductions). Il leur est donné aussi une recommandation importante : envoyer une part à celui qui n’a rien de prêt. Car tout le peuple doit pouvoir entrer dans cette joie. Nul ne doit en être exclu.
Dans cette volonté de se réjouir, de ne pas prendre le voile du deuil car c’est le Jour du Seigneur, il y a l’idée de délier quelque chose, de se défaire de la tristesse qui nous enchaîne. Souvent, nous pouvons nous laisser aller à la morosité, au découragement. Mais le Seigneur nous invite à ne pas nous attarder sur nos infirmités ou nos difficultés. Il nous demande de le regarder, lui, et de lui consacrer ce jour. C’est ce que nous essayons de faire en ce dimanche, jour de repos, consacré à Dieu. Le Christ, dans l’évangile, va dans le même sens. Sa venue dans le monde n’a qu’un seul but, c’est justement de délier : porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, aux aveugles qu’ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération. Bref, donner la joie à tous ceux qui souffrent de l’injustice dans laquelle on les enferme. C’est comme si un livre s’était ouvert avec la venue du Christ dans le monde, qu’avec lui tout se délie. Puis, le livre est refermé. Jésus est monté au ciel, retourné vers le Père. Quand nous ouvrons l’Écriture, que nous la lisons et l’interprétons, nous permettons au Christ d’être de nouveau présent sur cette terre pour délier la souffrance, pour ouvrir un chemin de sens. Saint Paul, dans la deuxième lecture, exhorte les corinthiens à se réjouir quand un membre de l’Église est dans la joie, et à souffrir avec ceux qui souffrent.
Dès lors, chacun peut se demander : comment est-ce que je rends présent le Christ dans le monde ? De quelle manière, en tant que membre de son Corps qu’est l’Église, est-ce que je peux délier et comprendre le sens des événements, non seulement en ouvrant l’Écriture et en la lisant, mais plus encore en faisant la volonté de Dieu dans une ouverture concrète envers mon prochain ? C’est de cette manière que le Jour de Dieu est rendu présent, qu’il s’accomplit, quand l’Église ne fait plus obstruction à la grâce divine, mais qu’elle laisse passer la lumière pour le monde, comme une lampe qui éclaire ceux qui sont autour. En cette eucharistie, le Christ nous partage son Corps et son Sang et nous ouvre par son Esprit le sens profond de l’amour de Dieu. Il nous constitue membres de son Corps et fait de nous son Église. Soyons attentifs aux gestes du Christ qui portent et délient autant que ses paroles.
5 janvier