14 mars 2025.
Commentaire Règle 2, 4-10
4 C’est pourquoi l’abbé ne doit rien enseigner, rien établir, rien ordonner en dehors des commandements du Seigneur.
5 Mais ses ordres et ses enseignements agiront comme un ferment pour répandre la justice de Dieu dans le coeur de ses disciples.
6 L’abbé doit toujours se rappeler ceci : le jour terrible où Dieu jugera les hommes, il examinera ces deux choses : son enseignement et l’obéissance de ses disciples.
7 L’abbé doit le savoir : si, parmi ses brebis, le père de famille en trouve une en mauvais état, c’est le berger qui en portera la responsabilité.
8 Au contraire, si le berger se fatigue beaucoup pour des brebis qui ne restent pas tranquilles et qui n’obéissent pas, s’il fait tout ce qu’il peut pour les guérir de leurs actions mauvaises,
9 au jour du jugement, le Seigneur le déclarera innocent. Avec le Prophète, l’abbé dira au Seigneur : « Ta justice, je ne l’ai pas cachée dans mon coeur. Ta vérité et ton salut, je les ai annoncés » (Ps 39, 11). « Pourtant ces gens-là se sont moqués de mes paroles et ils m’ont méprisé » (Is 1, 2 ; Ez 20, 27).
10 Alors, à la fin, ces brebis qui ont résisté aux soins de l’abbé seront punies par la mort qui les vaincra.
Ce passage se rattache à ce qui précède par l’expression « c’est pourquoi » (RB 2, 4a). C’est bien parce que l’Abbé tient la place du Christ dans la communauté (RB 2, 1-3), qu’il doit s’effacer (dans son enseignement, dans les structures qu’il met en place, dans ses ordres même) pour que le Christ apparaisse comme le seul et le véritable Maître de la communauté ; Lui seul conduit les hommes au Père en agissant avec une paternité qu’il a expérimentée et qui est à la source de son être de Fils.
L’Abbé s’efface en tant qu’il renonce à des vues trop humaines sur les hommes et sur les choses pour s’appuyer sur une expérience trinitaire vécue non pas comme le Christ (dans la plénitude d’une humanité réelle et totale non marquée par le péché), mais par une expérience de la blessure du péché, de la conscience de sa faiblesse et de la toute-puissance de la miséricorde de Dieu.
C’est son humanité blessée et sauvée par la grâce de Dieu qui le soutiendra et l’éclairera dans la prudence de son enseignement, du gouvernement des hommes et de l’établissement des ordonnances.
Alors, « ses ordres et ses enseignements agiront comme un ferment pour répandre la justice de Dieu dans le cœur de ses disciples » (RB 2, 5), c’est-à-dire selon l’exégèse paulinienne, l’expérience de la grâce de Dieu. La « justice » chrétienne n’est pas celle de la Loi du talion, mais bien celle d’un Dieu Père qui proclame la « justice » du pécheur qui s’est repenti. La relation de communion n’est pas fondée sur la mérite et l’observance, mais bien sur la miséricorde de Dieu qui rend possible la fraternité et le progrès spirituel.
Les versets suivants développent cette vision théologique et spirituelle (si chère à Augustin et reprise par Benoît).
Aux versets 6 et 7, Benoît, pour définir la mission de l’Abbé, met en lien l’enseignement de l’abbé et l’obéissance des frères. Si la parole de l’Abbé n’est pas celle d’un père, mais celle d’un juge qui ne parle que pour redresser, corriger et menacer, il est responsable de la désobéissance des disciples. Seule l’appropriation de la miséricorde de Dieu fait apparaître l’obéissance, non pas celle des esclaves, mais celle des fils.
Cependant, il en va de l’expérience de la miséricorde comme de la proposition de la foi, elle ne s’impose pas. Elle peut être refusée car il n’est pas facile à l’homme de passer de la méfiance à la confiance, de la crainte à l’amour. Le Christ a voulu avoir besoin de nous pour continuer dans le cœur des hommes, son œuvre de Libérateur et de Sauveur. Cependant, pas plus pour Lui que pour nous, n’existe une assurance de réussite. Benoît renvoie simplement l’Abbé à la nécessité d’aimer, à faire « tout ce qu’il peut » …
Face au refus de l’amour, il ne reste que le témoignage silencieux de l’amour et l’espérance immense de la miséricorde de Dieu qui peut parvenir à briser les murailles de toutes les résistances, parfois seulement au moment du passage.
8 octobre